Vivre dans le feu : Confessions
de Marina Tsvétaïeva

critiqué par Sahkti, le 22 mars 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Marina par elle-même
"Je ne peux vivre. Rien ne ressemble à rien. Je ne peux vivre qu'en rêve."

Marina Tsvetaeva est une nouvelle fois à l'honneur et elle le mérite. J'ai encore en mémoire le plaisir de la lecture de sa correspondance avec Anna Teskova publiée chez Clémence Hiver, une correspondance à laquelle Marina Tsvetaeva semble accorder autant d'importance que si elle rédigeait des poèmes. Si le fond est intime et parfois léger, le style est toujours travaillé et élégant. Même la misère, Marina Tsvetaeva l'emballe de jolis mots.
Tzvetan Todorov a accompli la délicate tâche de sélectionner une partie de toutes ces correspondances échangées de par le monde et de les présenter dans une édition critique qui alterne biographie et échange épistolaire. De quoi approfondir ses connaissances de la poétesse russe.

A la lecture de toutes ces lettres (et des notes très intéressantes de Todorov), on suit les traces de Marina depuis son enfance, on parcourt avec elle une vie qui ne fut jamais vraiment heureuse, parsemée d'embûches et de soucis. On y lit surtout (et c'est très fort) l'amour qu'elle portait à son art et la place que celui-ci occupait dans sa vie. Marina Tsvetaeva ne vit que par et pour l'écriture. Le monde peut s'écrouler, l'important est de pouvoir continuer à écrire. Cela donnera parfois lieu à des scènes frôlant le surréalisme, lorsque l'auteur russe, en proie à la faim et au plus grand dénuement, se soucie avant tout de l'impact qu'a eu auprès des cercles littéraires son dernier poème.
L'occasion de découvrir (ou de voir l'impression se confirmer) une Marina assez sûre d'elle sur le plan poétique et créatif. Son œuvre, elle la juge de qualité et ne la remet pas en question. C'est peut-être cette force et ces certitudes qui lui permettront d'avancer de la sorte et d'affronter les vicissitudes de sa vie quotidienne difficile (une de ses filles, toute petite, mourra de faim et de froid).
Tous les drames de la vie de Marina T. se retrouvent dans son œuvre et lui donnent sa puissance, sa richesse. Sa vie et son écriture ne font qu'un sur le plan des idées, Marina s'y donne à corps perdu. Comme dans ses relations avec autrui. Lorsqu'elle aime, c'est jusqu'à l'épuisement et certains, pris de panique, se détourneront de cette femme si passionnée. A travers ces lettres intimes, la souffrance de Marina Tsvetaeva explose, on sent combien elle a souffert de cette incompréhension et du rejet des autres, de ceux qu'elle étouffait de son amour. Là encore, peu de remise en cause de soi-même, mais l'apparition d'une grande fragilité qui ne la quittera jamais. Paradoxe qu'elle vit avec difficulté, elle ne veut pas voir ses certitudes s'ébranler car sans cela, elle n'est plus rien. L'incertitude finira d'ailleurs par l'emporter, ses dernières lettres sont bouleversantes.

Si la biographie que Troyat a consacrée à Marina Tsvetaeva n'est pas mauvaise, je lui préfère cependant les volumes de correspondance, plus humains, plus anecdotiques certes mais en même temps tellement intimes. Marina parle d'elle-même, elle se confie et se livre comme jamais lorsqu'elle écrit à ses amis. Son époque est également très présente dans ses missives, de quoi dresser un contexte assez précis du monde dans lequel elle vit. Marina Tsvetaeva n'a jamais été aussi humaine et palpable que dans ses courriers.