Chardin, la matière heureuse de André Comte-Sponville

Chardin, la matière heureuse de André Comte-Sponville

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Arts (peinture, sculpture, etc...)

Critiqué par MOPP, le 20 mars 2005 (Inscrit le 20 mars 2005, 87 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 083ème position).
Visites : 5 344  (depuis Novembre 2007)

Art et philosophie

André Comte-Sponville est d'abord un philosophe contemporain. Dans cet ouvrage, il présente le peintre et les oeuvres de CHARDIN, contemporain de DIDEROT.

Nous savons que le philosophe est un matérialiste non dogmatique, donc humaniste, mieux à visage humain.

Issu de mai 68, il est normal qu'il soit un admirateur de PICASSO et de VAN GOGH.

Alors pourquoi cet "amour" soudain pour CHARDIN ?

Sa passion s'est révélée suite à une exposition et brusquement l'auteur a réalisé que ses conceptions étaient en accord avec celles de CHARDIN.

Car CHARDIN ne veut pas briller, il se contente de présenter ses "natures mortes", ses objets bien matériels, sans se monter la tête. Il reste un être humain parmi le "tout" matériel.

Bien entendu, sa technique est parfaite. Le lecteur peut apprécier son talent à partir des reproductions en couleurs.

Personnellement je ferais le rapprochement CHARDIN - Francis PONGE.

Sans oublier que CHARDIN peint avec du sentiment.

Cela induit un monde calme, reposant, même si la réalité des faits surgit : la mort rôde. Voyez ce lapin victime d'une chasse; voyez cette fleur fânée, petit détail, au bas d'un tableau.

Je ne suis pas un grand admirateur de CHARDIN, mais j'avoue que André COMTE-SPONVILLE m'a aidé à mieux le comprendre, et c'est bien ainsi

Notons en passant que l'auteur établit des liens multiples entre CHARDIN, sa peinture et son temps;

MOPP

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La distance de l'amour

10 étoiles

Critique de Glencoe (, Inscrite le 17 juillet 2008, 59 ans) - 24 septembre 2009

Une exposition peut changer une vie. C'est avec ces simples mots que le philosophe André Comte-Sponville inaugure sa réflexion sur le peintre français Jean-Siméon Chardin (1699-1779). Une exposition? Celle consacrée à Chardin, au Grand Palais en 1979, sous le commissariat de Pierre Rosenberg, et que Mr Comte-Sponville visite presque par hasard, alors qu'il a vingt-sept ans. Le cadre est posé. Pour le reste, nous apprenons que l'auteur s'étonnera plus tard d'y avoir été aussi sensible, habitué qu'il était à l'être presque exclusivement à la littérature et à la musique. Nous apprenons également qu'à vingt ans, Mr Comte-Sponville a le dégoût facile, déteste les bourgeois, que le génie est une maladie exaltante, et que des peintres comme Le Greco, Van Gogh et Picasso, sont des voleurs de feu, dont l'art est vrai puisqu'il flirte avec la démesure, parfois même la folie. Bref, rien ne préparait moins l'auteur à tomber sous le charme de Mr Chardin. A moins d'une conversion profonde, non pas tant seulement à la peinture de Mr Chardin, mais plutôt à tout ce qui, chez ce peintre, accompagne l'acte de peindre. « Tranquillement, lumineusement » (p. 11.) donc, le philosophe apprend à apprécier le peintre, apprend à regarder vraiment sa peinture, ce qui suppose se défaire des malentendus habituels qu'elle suscite. Parce qu'il fût et est encore célèbre, Chardin est plus vénéré que compris, plus encensé qu'aimé. Dont acte. Et sa biographie n'aide que très peu, à part pour se faire une idée plus précise de sa formation, de ses influences. Dire que Mr Chardin est « par excellence un peintre du XVIIIe siècle » (p. 17.), que sa peinture « devra beaucoup aux maîtres flamands et hollandais du XVIIe siècle » (p. 17.) - notamment pour les natures mortes-  ne rend pas compte de la dimension de mystère, de présence et d'amour qu'elle recèle. « Chardin ou la matière heureuse »: pour un peintre qui aura vécu sous trois rois (Louis XIV, Louis XV et Louis XVI), connu les plus grands honneurs professionnels et suscité l'admiration des plus grands, de Diderot à Pigalle, en passant par Greuze et Fragonard, cet éloge de la matière semble de mise. Mais sans doute parce qu'il est un philosophe avant tout, Mr Comte-Sponville, a besoin de comprendre pourquoi il aime cette peinture si déroutante par son apparente simplicité, pourquoi l'intelligence et le savoir échouent à rendre compte de l'envoûtement, de ce mélange d'attente et d'attention extrêmes auquel nous cédons volontiers face à elle. S'approcher de Chardin, entrer dans l'intimité de sa peinture, requiert donc une certaine familiarité avec les théories de l'art et l'histoire du goût. L'auteur replace habilement Chardin dans son temps et évoque l'importance d'une certaine esthétique du sentiment, illustrée par le fameux « On se sert des couleurs, mais on peint avec le sentiment » (p. 41.), lancé à un confrère jugé médiocre. L'ensemble de l'œuvre est abordé, non pas chronologiquement, ni même par genres, mais sous la forme d'un va-et-vient entre les tableaux importants, entendez ceux qui reflètent un rapport nouveau avec la peinture, le regard, le silence, le temps, le réel, ce que Mr Comte-Sponville appelle le « spinozisme naturel de Chardin » (p. 93.). La qualité des reproductions en couleur soutient parfaitement le propos de l'auteur, qui est de nous aider à mieux aimer la peinture de Chardin. Aimer Chardin? Comte-Sponville parle de « vérité d'ensemble » (p. 46.), et à propos des fameux retours de chasse, de « l'envie de pleurer, qui serait le goût même de la vie. Quelque chose d'atroce et d'infiniment doux » (p. 48.). Émotion donc, devant cette dévotion au réel, devant cette évidente volupté dans l'acte de peindre, la complicité entretenue avec le silence, la parfaite harmonie entre la poésie du regard du peintre et son génie qui est, « outre le don ou la sensibilité de départ, un métier parfaitement abouti » (p. 80.). L'auteur insiste sur le dialogue intime qui s'établit entre ce qui est regardé (le réel ou la matière, heureuse dans le cas de Chardin), ce qui est célébré (l'émotion d'exister) et enfin ce qui est éprouvé (le temps à l'état pur). Ainsi, ce que Chardin nous offre, c'est « une lumière, une paix, une évidence. Comme Mozart. Comme Vermeer » (p. 65.). Distance de l'amour qui est illustrée dans le tableau « Une dame qui prend du thé », pour laquelle le philosophe parle de « contemplation aimante » (p. 88.). A ce point, il n'est pas superflu de préciser que la métaphysique matérialiste, l'éthique humaniste et la spiritualité sans Dieu de Mr Comte-Sponville trouvent un écho favorable dans la peinture de Chardin, particulièrement ses natures mortes. Il s'émerveille devant ce sentiment de « perpétuel état des choses » (p. 91.), ce « recueillement devant le réel » (p. 94.), et devant le tableau « Le bénédicité » est ému par « tant de beauté, tant de pénétration » (p. 96.). Mais sans doute, est-ce la fin de l'ouvrage qui mérite le plus d'éloges, par la beauté de l'hommage rendu à la peinture de Chardin. Trouver l'heureuse distance de l'amour n'est pas chose facile, mais le pari est tenu avec l'auteur qui sait faire partager son enthousiasme, tout en offrant des clés de lecture pertinentes et profondes. Son analyse du tableau « L'enfant au toton », est un modèle de déclaration d'amour au génie de Chardin, le ravissement éprouvé devant ce « je ne sais quoi d'absolument simple, de sublimement élégant, on dirait du Haydn, quelque chose comme une grâce, comme une pureté, comme un repos » (p. 103.). Si une exposition peut changer une vie, il est évident qu'un livre le peut aussi. Avec « Chardin ou la matière heureuse », Mr Comte-Sponville signe là un livre à la beauté sereine, un exemple parfait de contemplation aimante, un moment d'attention pure devant la célébration du réel. Il y a dans le regard porté sur cette peinture suffisamment de gratitude et de perspicacité pour inciter le lecteur à (re)découvrir Chardin. Mais on y trouve également l'évidence silencieuse de cette peinture qui ne prétend rien, sinon éclairer et accompagner l'émotion d'exister.

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