Lucy
de William Trevor

critiqué par Sallygap, le 4 mars 2005
( - 46 ans)


La note:  étoiles
L'attente
L’histoire débute dans les années 20 en Irlande, sur l’agitation qu’a connu ce pays à sa partition. La maman de Lucy est mal intégrée car d’origine anglaise et la famille est en danger. Ses parents choisissent de quitter le pays.
Lucy est une enfant de 9 ans attachée à sa terre, sa maison, sa mer… un attachement sincère, profond, viscéral… elle n’accepte pas cet exil et le jour du départ, fait une fugue qui va changer tout le reste de sa vie…

Pas de suspense insoutenable dans cette histoire, pas de rythme haletant ni de rebondissements surprenants. C’est une vie qui défile, lentement, dans l’attente et la solitude, une vie conditionnée par un acte d’enfant. Les personnages parallèles sont dans la même veine, ils vivent doucement, au souvenir de leurs erreurs, avec une culpabilité qui les tient chaque jour. Mais William Trevor a l’art de raconter le temps qui passe. Il fait ça tellement bien, cette lenteur travaillée sert si habilement son récit, mélancolique, ses personnages sont si bien décrits dans leurs sentiments, leur retenue…

J’ai aimé ce livre pour tout ça, comme j’avais aimé « En lisant Tourgueniev » du même auteur, autre histoire de solitude et d’attente… J’ai lu quelque part que cet auteur irlandais était « injustement méconnu en France ». Il mérite pourtant qu’on s’intéresse à ses œuvres, à son style particulier, à la beauté et la puissance des choses qu’il nous raconte.
Détresse familiale 8 étoiles

Comme dans les récits de Joseph O’Connor, c’est toute la détresse irlandaise que j’ai retrouvée dans ce "Lucy" de William Trevor. L’Irlande est une terre qui a payé un lourd tribut à l’exil et à la misère.
C’est encore de ces départs forcés dont on parle dans ce livre. Everard Gault vit à Lahardane, avec sa femme Héloïse et sa fille Lucy. Un soir, on le cambriole, c’est la goutte qui fait déborder le vase de l’amertume, il décide de quitter le pays et d’émigrer avec comme premier objectif l’Angleterre. Lucy refuse de toutes ses forces de partir. Sa terre, elle s’y accroche autant qu’elle le peut (quelle détermination chez cette gamine !). Elle s’enfuit, ses parents l’imaginent noyée et s’en vont sans elle. Trevor nous fait vivre ici un grand moment d’émotion en partageant avec le lecteur le chagrin qui ronge ces parents abandonnant leur fille aux flots tumultueux. Mais Lucy n’est pas morte, elle s’était cachée et regagne la demeure familiale après le départ de ses parents. Solitaire, l’enfant cohabitera avec des domestiques, espérant chaque heure le retour de ses parents, qui n’intervient que lorsque sa maman décède. Lucy a développé un énorme sentiment de culpabilité, son père de vulnérabilité. Ces deux êtres entiers se heurtent lors de ces retrouvailles pourtant attendues. Le deuil avait été fait d’un côté, difficile de revenir en arrière.
Intense lecture qui fait passer incessamment de Lucy à Everard, partageant leurs douleurs et leurs silences. Les deux versions humaines intérieures offertes au lecteur avec tout le talent qu’on connaît de William Trevor.
Difficile de choisir, on compatit avec les deux personnages, on comprend chacun d’eux. Au final, ça rend un peu triste toute cette peine.

Sahkti - Genève - 50 ans - 7 mars 2005