Au sujet de... : Entretien avec Jérôme Sans
de Daniel Buren, Jérôme Sans

critiqué par Ulrich, le 3 mars 2005
(avignon - 49 ans)


La note:  étoiles
« J’aime, j’aime pas »
« J’aime, j’aime pas ». Toujours ce premier réflexe, essentiel, si dur lorsque je regarde une oeuvre, j’écoute un concert ou écoute et regarde un spectacle. Se laisser porter, oser son sentiment. J’ai toujours trouvé cela difficile. La volonté de comprendre revenant toujours si vite qu’elle veut prendre la place. Et pourtant, ce que je recherche c’est d’abord l’émotion suscitée. Après mon émotion peut interroger l’œuvre, son sens. La comprendre, ne pas la comprendre ou mal la comprendre. Bien sûr cette émotion ne doit pas être aveuglante. Le sens critique, indispensable garde-fou doit toujours être en veille. Puisqu’on est sur un site de livre et de littérature, permettez-moi une analogie avec Céline. Ses positions politiques m’ont toujours été intolérables, insupportables. Je ne peux les mettre de côté. En lisant, « Voyage au bout de la Nuit », j’étais sans cesse sur la défensive et pourtant quel livre, quelle magie, quel sens des mots. Prodigieux et époustouflant. Ce livre illustre ma recherche permanente de l’équilibre entre l’émotion d’une part, le sens de l’œuvre et son contexte, d’autre part. L’émotion et le sens critique.
Buren, j’aime ! J’avoue, j’adore même ! L’émotion suscitée par ces bandes dans les différents lieux, les différentes formes qu’elles ont pu prendre a toujours été au Rendez-vous. La dernière œuvre en date, malheureusement démontée, c’était un anneau de lumière installé à LILLE dans le cadre de Lille, Capitale Européenne de la Culture. Magique.
L’émotion, comme porte d’entrée, je me laisse alors glisser dans la réflexion, sur le sens donné à ses œuvres : Avant tout à ses bandes régulières et plus encore dans le lieu où elles sont et le support qu’elles empruntent. Je percevais bien une interrogation sur l’espace, comme un moyen de nous montrer autre chose que ces bandes. Une mise en perspective. Pas de l’illusion, jamais mais comme une invitation à voir autre chose et principalement l’espace développé par l’œuvre. Cette perception, cette réflexion sont alors venues se confronter au discours de l’artiste à travers ce livre. Je ne sais pas vous mais je confronte rarement, les œuvres que je regarde et le sens (lorsqu’il l’exprime) que l’artiste a voulu transmettre. Mais là, l’occasion doublée de l’envie, j’ai confronté. Tout d’abord un plaisir : je n’étais pas passé totalement à côté du sens donné par D Buren à ses œuvres mais surtout une découverte :
- D’une œuvre construite, interrogative
- De ses principales « outils » interrogatifs (Les bandes, In situ, la question du point de vue, l’avertissement…)
- De ses influences et ses goûts tout simplement
- De ses nombreuses réflexions sur les rapports entre une œuvre d’art et son public, sur la critique, sur le rôle des musées, des galeries, sur la commande publique, sur la place du marché.
Ce livre qui est en fait un entretien se lit, du coup, très facilement. D Buren se fait sans concession, tranché. Je ne partage pas tout, loin de là. Mais par contre, je ne peux que souscrire à la cohérence, à l’intégrité de sa démarche.
Vraiment, à découvrir, « qu’on aime ou qu’on aime pas ». C’est sûr, je n’interrogerais plus ses œuvres de la même façon après cette lecture. Mais qu’importe, je crois avoir encore la force de laisser l’émotion prendre le rôle du premier jugement ; la compréhension et la connaissance plus approfondie de son œuvre n’étant qu’une étape parmi tant d’autres de ce chemin initiatique de la découverte de l’art et du sens qu’il donne.