Nephros
de Edouard C. Peeters

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 9 février 2005
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Premier roman archi-prometteur
Trentenaire qui se la joue blasé, Jacques travaille dans une banque et s’ennuie dans son métier comme dans sa vie. Lorsqu’un certain jour il est appelé chez son patron, c’est pour se voir confier une mission particulière. Le dit patron entend maintenir ses bonnes relations avec le directeur d’une banque lybienne en encadrant le séjour de sa famille en Belgique. Il s’agit de les attendre à l’aéroport, les conduire à l’hôtel et simplifier les démarches administratives. Voilà comment Jacques rencontre quatre Lybiens, deux enfants malades des reins (l’un ne sait plus marcher) et leurs pères. En Lybie, les médecins sont arrivés au bout de ce qu’ils pouvaient faire, le seul espoir de ces deux enfants consiste en un traitement dans un hôpital bruxellois. Ce qui se révèlera un vrai parcours du combattant.

Jacques accueille les Lybiens le visage tuméfié. C’est qu’il enterrait la vie de garçon de son meilleur pote la veille ! « Il y a toujours dans l’abus d’alcool une frontière où l’on est persuadé que la situation est sous contrôle et peut durer à l’infini alors qu’en fait elle glisse déjà inexorablement vers le chaos. » Le chaos, en l’occurrence, se cristallise en une somptueuse bagarre dont notre protagoniste sortira entier, mais pas indemne. Direction hôpital de Liège (ben oui, la fiesta avait lieu au Carré). Les yeux bandés, Jacques est aux mains d’une infirmière à la voix chaude, coquine mais jamais vulgaire, qui finit par déposer un doux baiser sur les lèvres meurtries de Jacques qui n’en goûte pas moins tout le sel… Et si elle était moche ? Guéri, il reviendra à l’hôpital pour en avoir le cœur net. Et il n’est pas au bout de ses surprises…

Ces deux trajectoires, les Lybiens et l’infirmière, vont se croiser, faisant de Jacques un homme debout.

Un premier roman d’un petit belge qui sait écrire plus de 120 pages (293 très précisément), avec des caractères et interlignes normaux, ça se salue, messieurs-dames. Et si la qualité est à la hauteur de cette prouesse quantitative, ça s’applaudit !
On pourrait regretter que le livre ne soit pas plus dense, alors que les sujets s’y prêtaient. Tout est traité de manière assez légère, un peu à la Didier Van Cauwelaert (je parle du bon DVC, celui du début). Peeters n’a pas le même style d’écriture, mais on pourrait très bien imaginer cette histoire racontée par DVC.
D’un autre côté, cette légèreté comporte des avantages : Peeters sait faire rire. Plusieurs fois même. Le sujet est dramatique mais le livre fait franchement rire (pleurer aussi, mais ça c’est pour la fin).
Un échantillon, un peu long, du style Peeters : « Une partie de mon sorbet en est retombé dans la coupe. Les mots me manquent pour décrire ma consternation. Un spécimen rare avec 666 imprimé dans le cuir chevelu. Un collector. J’avais déjà croisé des yuppies gratinés dans son genre, accoudés aux bars branchés de l’avenue Louise, mais celui-ci semblait les dépasser tous d’une franche coudée. C’était déjà assez pathétique comme cela de les entendre proclamer haut et fort leur admiration pour Paolo Coelho et Oasis, mais Bakounine était clairement un nouveau sommet réinventé et inexpugnable. L’esprit humain n’avait donc aucune limite. » Moi qui ne supporte pas Coelho, Peeters a fait de moi une de ses fans…

Qu’il est agréable de se promener dans un livre en visualisant les lieux, en comprenant les références. On parle du Carré à Liège, de Bruxelles, de Zaventem, de Radio 21(alors là, je suis définitivement une fan de Peeters), de U2 (là, je suis tombée amoureuse de lui) et d’une flopée d’autres éléments qui m’ont fait me sentir proche de l’histoire, proche des personnages, comme si j’étais susceptible de croiser Jacques demain. Mais je me contenterais de l’auteur !…
un livre qui grandit le lecteur 9 étoiles

Ce livre nous fait réfléchir sur plusieurs thèmes : l’immigration avec ses différences socioculturelles, les restructurations dans les entreprises, les cliniques et les transplantations d’organes, les différences de classes sociales, les relations entre collègues au sein d’une entreprise, les atrocités de la guerre…, sans oublier l’amour !
Avec cette énumération, on pourrait croire que ce roman est touffu, voire confus ; pas du tout ! Le roman se dénoue comme un écheveau, et chaque élément retrouve sa place : il en ressort une profonde humanité, un dépassement de soi tonique.
Le héros du livre, Jacques, employé de banque petit bourgeois, évolue grâce à la venue de 4 Libyens qui vont transformer son destin. C’est là, la grande leçon de ce livre : côtoyer l’étranger nous permet de mieux le comprendre, lui et ses problèmes et de créer une empathie avec lui.
En filigrane, les atrocités (absurdités) de la guerre sont mises en évidence par le truchement d’écrits d’un soldat qui (sur)vit au jour le jour. De plus, ce ne sont ni les héros de la résistance, ni les soldats de la Libération, mais ceux de la guerre 40 dans le désert de Libye : des épisodes moins connus.
Le style du début du roman est plutôt déroutant : on y retrouve un niveau de langue peu châtié, style ado ; ce qui gène d’autant plus le lecteur que se mêle à cette façon d’écrire une autre, beaucoup plus classique et fort agréable à la lecture, où se retrouvent images, anecdotes, réflexions teintées d’humour. Par la suite, la langue s’épure et ce roman devient tout à fait plaisant à suivre.

Ddh - Mouscron - 82 ans - 16 juin 2007