Les vingt-trois jours de la ville d'Albe de Beppe Fenoglio

Les vingt-trois jours de la ville d'Albe de Beppe Fenoglio
( I ventitrè giorni della citta di Alba)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Lamanus, le 7 février 2005 (Bergerac, Inscrit le 27 janvier 2005, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 189ème position).
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Épuisé, épuisant, époustouflant

ATTENTION LE COMMENTAIRE CONCERNE UN LIVRE EPUISE MAIS QU’ON PEUT TROUVER EN BIBLIOTHEQUE – DONC L’ISBN CONCERNE UN AUTRE TOUT AUSSI INTERESSANT ET QUE JE CONSEILLE POUR DECOUVRIR L’AUTEUR (POUR AVIS)

Beppe Fenoglio, che cosa è questo ? Une marque de fringue italienne, un fromage transalpin, une recette ultramontaine ? Que nenni, Beppe Fenoglio est un écrivain italien. Bien davantage : c’est une étoile filante géniale de la littérature al dente.

Autant vous le dire tout de suite, La guerre dans les collines (Il partigiano Johnny dans la langue de Dante) publié en 73 par les éditions Gallimard est épuisé, ratissé, vidé, out of stage. Bref, vous ne le trouverez pas chez votre libraire habituel. Oui mais… Oui mais voilà un livre qui se mérite, un roman à se taper le derrière par terre et, n’ayons pas peur des grands mots qui sont parfois gros quand on les applique à des auteurs territoriaux bien de chez nous, La guerre dans les collines est un chef-d’œuvre.
Alors mes amis, il vous faudra soit de l’obstination, soit de la chance, soit les deux à la fois pour dégoter ce sublime livre posthume de Beppe Fenoglio (mort à 41 ans en 1963). Mieux, organisons une pétition auprès de Gallimard pour rééditer ce livre, groupons-nous et demain…. Ou bien, défilons dans les rues, calligraphions des banderoles édifiantes, lançons des slogans, faisons la grève de la faim (enfin vous, parce que moi le livre je l’ai déjà et je tiens à mes poignées d’amour), refusons de payer l’impôt inique qui abreuve la lie de la création, je veux dire la redevance télé, et créons le Fenoglioton, récoltons les subsides nécessaires à la renaissance de ce magnifique roman, de cette œuvre d’art, de ce maousse costaud, amphigourique, révolutionnaire, baroque, prodige littéraire.

Je devine que certains esprits chagrins (chafouins et chafouines empêcheurs d’admirer en rond) vont me trouver un tantinet excessif. Un livre épuisé d’un auteur inconnu, et puis quoi encore ? Eh bien je le vous dis, moi petit provincial blotti au creux d’une vallée fertile où des vignerons austères aux parlers rocailleux pressent un raisin spermatique qui enfante maintes ivresses et nombreuses bacchanales orgiaques, La guerre dans les collines vaut qu’on se bouge les fesses, qu’on se mue en Sherlock Holmes du Net, qu’on fouille de la cave au grenier les bibliothèques communales, municipales, départementales, régionales, nationales, qu’on pique une colère, qu’on se fasse pipi dessus et qu’on danse jusqu’à ce que ça mousse. Ah ! je vous vois braves lecteurs accoutumés à la douceur laudatrice d’un présentoir empli de livres anesthésiants, déjubiltoires (néologisme non dénué de sens en rapport avec l’œuvre de Fenoglio comme nous allons le voir), rotant chez votre libraire bileux et dyspepsique des noms d’auteurs “ classiques ” après une lecture trop arrosée de Nothomb millésime 2003, de Sollers gras, de Ruffin doucereux version après-Goncourt ; oui je vous vois avachis dans un confort de pacotille, un lucre facile, une jaculation misérable. Et je vous dis, à la façon directe et dénuée de complexes des entraîneurs sportifs s’adressant à des joueurs en cuissettes moule-bonbons aux poils tous frisottés sur des guibolles arquées, “ Va falloir se sortir les doigts du cul et se bouger la graisse ! ” (mille excuses pour la trivialité du propos, mais ça soulage).

Le sujet du livre : la vie d’un certain Johnny, partisan italien, après la chute de Mussolini le 8 septembre 1943, dans les montagne du nord de l’Italie, exactement la région de Langhe, la ville d’Albe bordée par le fleuve Belbo ; la résistance contre la République de Salo, les fascistes, les chemises noires. Voilà pour la petite histoire. La grande, elle, ne se trouve pas là, elle est toute contenue dans la patte de l’artiste, dans son style incroyable qui n’est pas sans rappeler Arno Schmidt pour la scansion narrative. À côté, un Mario Rigoni Stern fait pâle figure, et pourtant combien Mario est grand et beau, et combien un Primo Levi ressemble à un bonimenteur de second rang malgré son indiscutable talent. Beppe Fenoglio joue de toute la gamme de l’écriture, de toutes les variations, du baroquisme à la sécheresse saharienne ; il invente des mots (italo-anglais, anglo-italien, franco-italo-anglo-méli-mélo), il jongle avec les néologismes, il épure, il dépure, il suppure, il gratouille, il chatouille, il balance des phrases entières façon Shakespeare rital et à nous de nous débrouiller. Bref il ensorcelle les plus blasés, il nourrit son lecteur, il le gorge, le repaît. Avec lui on est dans la boue, on grelotte sous la pluie, on grille au soleil, on s’emmerde, on jouit, on a peur, on résiste, on meurt, on obéit, on ordonne, on se gratte le dos, on vit. La guerre dans les collines est le plus grand livre jamais écrit sur les partisans italiens… mais ne soyons pas chiche, c’est aussi le plus grand livre écrit sur la guerre de résistance. Même ceux qui fuient les récits guerriers, comme moi la plupart du temps, trouveront chez Beppe Fenoglio de quoi à jouir d’un plaisir littéraire sans égal, une joie d’avoir entre les yeux de la littérature à l’état sauvage, indomptable, munifique, jouissive. Cela vaut qu’on se donne du mal pour dénicher cette petite merveille.
Pour les autres, les handicapés de la débrouille qui n’y parviendraient pas, pauvres de vous, je conseille en amuse-gueule : Le mauvais sort du même auteur chez Denoël, ne serait-ce que pour se mettre le verbe à la bouche.

Forza Beppe Fenoglio !



La Guerre sur les collines (Il partigiano Johnny, [1968]), roman traduit par Gilles de Van. Gallimard « Du monde entier », 1973, 480 p. épuisé.
Le Mauvais sort (La malora, 1954), roman traduit par Monique Baccelli. Denoël, 1988, 96 p., 10,52 €

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Les éditions

  • Les Vingt-trois jours de la ville d'Albe [Texte imprimé] Beppe Fenoglio trad. de l'italien et présenté par Alain Sarrabayrouse
    de Fenoglio, Beppe Sarrabayrouse, Alain (Traducteur)
    G. Lebovici / Champ Libre
    ISBN : 9782851841810 ; 24,26 € ; 13/11/1987 ; 274 p. ; Broché
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10 étoiles

Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 50 ans) - 29 avril 2010

Il est possible qu'en 2005 le livre ne soit plus disponible, mais aujourd'hui il l'est. Et oui Fenoglio est un grand écrivain. Certes comme Rigoni-Stern ils ont tendance à ne parler que de la guerre civile italienne de 43 à 45 mais on peut comprendre que l'on puisse être marqué par un conflit fratricide. Les livres sont parfaits de la première à la dernière page. Tous bons mon préféré étant "le printemps du guerrier"

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  Aghhhhhhhh ! 6 Lamanus 8 février 2005 @ 19:16

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