Le jour des corneilles de Jean-François Beauchemin

Le jour des corneilles de Jean-François Beauchemin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 31 janvier 2005 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 631ème position).
Visites : 6 044  (depuis Novembre 2007)

Enfant en manque d'affection paternelle

Jean-François Beauchemin fait vivre à ses personnages le rêve que plusieurs envient de réaliser. Un homme et son fils logent, au plus épais de la forêt, dans une cabane de billes érigée devant un grand hêtre. Le père a formé de ses mains cette résidence rustique et tous ses accompagnements. Rien n’y manque : depuis l’eau de pluie amassée dans la barrique pour leurs bouillis jusqu’à l’âtre servant à rissoler les cuissots et chauffer leurs membres aux rudes temps des frimas. Il a tout enseigné à son fils sur l’art de vivre en forêt sans quelque appoint venu des territoires faufilés de rues.

Les parents du père Courge périrent dans les flammes quand leur grange survolée par les corneilles s’incendia comme feu de paille. Retenu de les secourir par les villageois alors qu’au milieu des brasiers brûlaient les auteurs de sa vie, il décida, lui et sa femme, de fuir le commerce humain pour s’isoler au cœur des territoires vierges de défrichement. Naquit sous peu ce fils dont le contact avec la vie projeta sa mère dans le trépas. Orphelin, il fut éduqué par un père dont le cœur en berne ne triompha jamais de son deuil. L’obsession de l’outre-vie lui apporta tellement de tourments que le sentiment vainquit le cerveau dans son quartier raisonnable. Halluciné par la mort, il transféra sa déveine sur son fils qui devint le pénitent pour les malheurs encourus. La peine sans commune mesure pour ses fluettes épaules obligea le fils Courge à envisager quelque soulagement d’autant plus que jamais les yeux de son père ne lui servirent de miroir pour jauger une appréciation positive de ses actions, tout accomplies pour assouplir leur survie en milieu hostile. En fusion avec un père castrateur, il lui fallut entreprendre un détachement dont les conséquences forment l’enjeu de ce roman.

Écrit dans une langue charmante, le roman s’épanche sur le sort d’un enfant privé d’affection. Pétri par la mort de ses parents et de sa femme, le père Courge envoie son fils aux oubliettes pour s’abandonner entièrement aux malheurs qui ont chassé son raisonnement. Délaissé, le jeune héros saisit quand même le sens de la situation. Il conclut que si la compréhension de la lecture avait fait partie de son carquois, il aurait eu une fléchette de plus pour atteindre la cible de la vie. Le savoir vu comme planche de salut. Jean-François Beauchemin suit la même sente que Gaëtan Soucy dans La Petite Fille qui aimait trop les allumettes. Le lecteur vit un retour au Moyen Âge caractérisé par l’ignorance. L’écriture rend compte de cette éducation en rupture d'alphabétisation par l'apposition au roman d'un cachet médiéval presque authentique.

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écriture magnifique, intrigue éprouvante

9 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 12 novembre 2020

Le Québécois Jean-Francois Beauchemin a formidablement maîtrisé son Jour des corneilles. J’avais vu en 2013 le film d’animation qui en avait été tiré et acheté dans la foulée le livre à la Librairie québécoise lors d’un passage à Paris. Mais le livre m’a encore plus étonné que le film, pourtant très bon. Le jeune protagoniste principal (il n'a pas de prénom) y raconte l’histoire depuis sa naissance qui coûta la vie à sa mère : il a mené une vie recluse avec son père dans une cabane de la forêt. De temps en temps, il leur arrive d’aller au village, notamment pour une fracture de la cheville du père Courge. Là, le fils fait connaissance de Manon, une jeune fille qui le déshabille et le propulse dans un tonneau plein d’eau pour le décrasser, tant il pue ! C’est la première fois de sa vie que le héros fait la découverte de la propreté et de l'affection. Car ils vivent comme des sauvages, son père et lui, mangeant racines et baies, vers de terre, quelques poissons et de nombreux petits animaux qu’il tirent à l’arc ou piègent. Le père lui a interdit de fréquenter ses semblables.

Cela est raconté dans un langage truculent, bourré d'archaïsmes québécois ou inventés par l’auteur, qui relèvent du mode de vie du narrateur, éloigné du langage châtié et bienséant. À ce titre, le roman est très réussi et j’ai pris grand plaisir à le lire. Le fond est un peu plus discutable. Le père éduque son fils à la dure, allant jusqu’à lui faire subir des sévices presque sadiques, dès qu’il se montre désobéissant, ou demandeur d’amour. Ce qui met le lecteur parfois mal à l’aise. C’est un livre très dur, éprouvant, parfois horrifique. Le récit met en scène le fils Courge, qui explique à un juge toute sa vie depuis sa naissance jusqu'à son arrivée en prison où il a atterri pour avoir tué et dépecé cette brute de père dans un accès de désespoir, alors qu'il aurait tant voulu que son père lui manifeste de l’affection.

Le roman vérifie l’assertion de Dostoïevski dans "L'adolescent" : "Malheur à ces êtres qui sont abandonnés à leurs seules forces et à leurs seuls rêves, et avec une soif de beauté passionnée, trop précoce et presque vengeresse".

Une quête hallucinante d'amour

10 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans) - 24 novembre 2008

Un excellent roman que j'ai lu avec avidité et grand intérêt. J'ai été un peu surprise par l'écriture et les termes incongrus mais je m'y suis habituée très vite et même, je me suis mise à aimer et savourer ce vocabulaire étonnant et très riche.

Le résumé en a été fait donc je ne le referai pas mais cette relation père-fils m'a vraiment touchée. Ce fils qui essaie désespérément de communiquer avec ce père à moitié fou qui est visité par des gens qui lui font faire des actes de démence à intervalles réguliers et dont le fils est souvent la victime. Ce fils qui est en quête d'amour et qui cherche à savoir si son père en éprouve pour lui est pathétique. Je l'ai trouvé très soumis cependant et j'aurais aimé un peu plus de révolte et d'indépendance de sa part. Il accepte trop passivement tous les sévices mais ce père est tout pour lui et malgré le fait qu'il doit endurer maintes tortures, on sent l'immense amour qu'il porte à ce père. L'écriture est puissante, dense, riche et très enrichissante. J'ai dégusté lentement chaque page et j'aurais aimé que ce soit plus long car je ne me lassais pas de la façon d'écrire de Jean-François Beauchemin. Et la nature si présente, magnifique et belle ! Les saisons qui se succèdent, le ciel étoilé, les bêtes de la forêt, les plantes... tout cela forme un arrière-plan fantastique à une histoire qui l'est tout autant. Et ces revenants qui viennent hanter le fils... Et ce père torturé, ravagé par la haine des autres et de lui-même ! Et cette vie en pleine forêt, une vie dure, âpre, sauvage, une vie magnifiquement narrée sans que rien ne nous soit épargné !

Oui, un roman très fort, très beau sur la relation père-fils et surtout sur l'amour, ultime quête de l'être humain en ce monde ! Fantastique et hallucinant !

"Il m'enfonça premièrement son pied dans l'estomac. Quand je fus plié sur la terre à rechercher mon souffle, il me fit embrasser le mont Tondu en me mêlant les gencives au sol par forte pression de sa main sur mon col. Je goûtai par suite de sa savate, mon flanc en accusant l'encontre pendant une durée qui me parut interminable."

Une comparaison qui ne fait pas le poids

2 étoiles

Critique de Calepin (Québec, Inscrit le 11 décembre 2006, 42 ans) - 4 septembre 2008

4e de couverture : Sise au fin fond de la forêt, au-dehors d'un village perdu, une cabane abrite deux êtres saugrenus, hallucinés et farouches : le père Courge et son fils. Ces deux êtres asociaux vivotent en autarcie et le père lit des prophéties dans les astres, s'angoisse devant la mort et se venge cruellement de sa destinée sur son fils alors que celui-ci voit apparaître les morts baignés d'une aura bleutée et interroge sans cesse le fantôme de sa mère. Mais ce qui étonnera le plus, c'est le langage du fils illettré mandé à comparaître en jugement : un verbe inouï, inventif et archaïque qui coule sur les questions existentielles dans une forme sans pareille.

Commentaires : D'entrée de jeu, je n'ai pas aimé le roman. Long, invraisemblable sur certains plans, lourd, je n'y ai pas trouvé mon compte. Le livre en soi existe parce que le fils du père Courge narre son histoire au tribunal suite à l'accusation d'avoir assassiné son paternel. Les invraisemblances commencent dès le départ où le fils raconte des sensations qu'il a pu vivre, alors nouveau-né, avec exactitude. J'en ai été agacé dès le départ, portant davantage mon attention sur les invraisemblances que sur le récit en tant que tel.

Certains ont aussi souligné le langage particulier. Contrairement à ceux qui considèrent ce travail d'un oeil élogieux, je n'ai pas vu là l'utilité ni la logique d'un tel langage. Comme le père fut élevé dans le village près de leur cabane, il a eu tout le loisir d'apprendre les mots de base, alors pourquoi le fils utiliserait des termes aussi archaïques comme : esgourde (oreille) ? Non seulement le choix de ces termes ne me faisait pas de sens, mais ils m'ont éloigné encore davantage du récit qui m'a laissé trop souvent de glace.

D'ailleurs, l'histoire ne se fait guère plus intéressante que la narration en boucle des multiples folies du père et des raclées prises par le fils. En fait, le seul endroit où j'ai été touché est le contact qu'a le fils avec une femme ; là où la première fois il se sent aimé par l'un de ses semblables. C'est d'ailleurs ce qui motive le reste le garçon tout au long du roman : chercher l'amour en son père.

Beaucoup de critiques font un lien entre l'oeuvre de Beauchemin et celui de Gaétan Soucy, la petite fille qui aimait trop les allumettes. Lien que je n'ai pas pu m'empêcher de faire moi-même tant la situation est semblable. Mais là où l'invraisemblance agace et où le langage étouffe chez Beauchemin, c'est tout le contraire chez Soucy où tout ceci devient un outil puissant et profond. Un cas ici où la comparaison ne fait pas le poids.

Note : 1/5

Etonnante chose

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 4 juillet 2005

Très étonnante chose que ce « jour des Corneilles ». Etonnante par la forme surtout, puisqu’on est d’emblée désarçonné par un langage dont on se dit qu’il est « tendance » médiévale, mais qu’on n’est jamais sûr de démêler de particularismes canadiens. Puisque Jean François BEAUCHEMIN est Québècois.
Un double drame familial, à la base, fait perdre la raison, dans le domaine du social, au père Courge : il voit brûler la ferme familiale avec ses parents dedans, empêché d’intervenir par les villageois. Puis sa femme, avec laquelle il s’est réfugié dans une cabane en rondins à l’écart du village, meurt en mettant leur fils au monde. Il y a donc définitivement rupture entre père/fils Courge et le village, la société des hommes en général. Le fils Courge est ainsi élevé par le père, dont la seule raison et les seules connaissances qui lui restent concernent la survie dans la nature à l’exclusion du moindre commerce avec les hommes.
Le roman est traité du point de vue du fils, illettré, quasi-esclave du père, qui par ailleurs semble perdre de plus en plus la raison.
Belle écriture mais le côté délibérément « médiéval » instaure une sorte de barrière qui m’a empêché d’adhérer totalement, ou qui m’a fait conserver une certaine distance. Un échantillon :
« En arrière-saison, les cieux ornaient le monde du rideau souple des averses. Ramures saignaient puis lâchaient leur cargaison de feuilles comme pages déchirées. Bourrasques s’en emparaient, et c’était tout le récit de l’été qui s’envolait. Venaient ensuite neigettes, déposant couvercle sur l’étang et capiton d’ouate sur toutes choses. En leurs trous, ratons, putois, belets, marmottes et ours entamaient ample roupil, et patientaient sous chairs ensiestées que rebroussent herbettes. La forêt elle-même stoppait sa vie en attendant que lombrics, faufilés en leurs couloirs, recommencent à manger de la terre. … »
Ecriture riche comme on peut le constater mais qui implique un effort perpétuel et qui peut contribuer à nous éloigner un peu du fond.

Au fond des bois

4 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 54 ans) - 7 février 2005

À la fin de 2004, la rédaction du site Amazon.ca plaçait ce roman au sommet de sa liste des meilleures parutions québécoises de l’année, ce qui avait piqué ma curiosité. Malheureusement, je ne peux partager leur enthousiasme.

Comme Libris Québécis a judicieusement remarqué, ce roman est dans la même veine que celui de Gaétan Soucy, « La petite fille qui aimait trop les allumettes » Peu être trop identique ? Les mêmes thèmes sont explorés, carence affective d’un enfant, isolement, déchirures de l’âme et ce, encore une fois, dans une langue inventée et rustique pour donner des mots à un narrateur sans éducation et illettré.

C’est cette difficulté additionnelle de l’écriture qui a gâché mon plaisir. Mais le futur lecteur l’a trouvera peut-être charmante. Un extrait : « Ah ! Si j’avais conçu plus tôt que les mots sont comme clés de glotte, et que par eux se défont les obscurités du secret ! Si j’avais connu avant d’évider père les paroles emplisseuses d’entendement, et avoueuses de sentiment, et traductrices de gouffre humain ! »

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