Mama black widow de Iceberg Slim

Mama black widow de Iceberg Slim
( Mama black widow)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Lamanus, le 30 janvier 2005 (Bergerac, Inscrit le 27 janvier 2005, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 444ème position).
Visites : 6 333  (depuis Novembre 2007)

Noir c’est noir, but black is beautiful

Iceberg Slim (tout comme Pipermenthe Jack ou Ontherock Bud) est né à Chicago en 1918. La partie immergée de monsieur Slim : 20 ans de proxénétisme, les gagneuses, la dope ; la partie émergée : la littérature, une écriture endurcie à l’aune d’un style noir d’ébène un chouïa anthracite lustré au coin d’une rue malfamée. Tout cela donne Mama Black Widow — chauds les marrons, chauds.


Mama Black Widow relate la vie désastreuse d’un travesti noir dénommé Otis Tilson. Voilà à peu près le sujet du livre : Otis et sa famille débarquent du Sud, le vrai, l’Amerloque, celui des croix qu’on brûle, des nègres qu’on pend et des champs de coton ; bref d’un coin où les hommes en ont plus dans la culotte que dans le ciboulot. Alors, sous l’influence de sa mère, Mama, la famille monte à Chicago, des fois qu’il y ferait meilleur vivre. Ben pardi. Tous décanillent, clapotent ou se font estourbir, sauf Mama et Otis.

C’est gai.

Tous ces mots âpres, rudes, provocateurs sont imprimés noir sur blanc — on sait que généralement c’est noir sur blanche, vu que les gens de couleur ont la réputation d’avoir un grand chose, mais là, que nenni parce que Otis est homo et travesti, même s’il a tâté du sexe opposé sans trop de résultat — dans la collection Soul Fiction aux Editions de l’Olivier. Ils sont comme il se doit les uns derrière les autres, bien encadrés d’une ponctuation adéquate, des mots joliment assortis, arrangés en paragraphes et chapitres, le tout paginé, broché, enserré amoureusement dans une couverture cartonnée, avec la mignonne photo d’un travesti noir fumant une cigarette, en bas résille, porte-jarretelles, guêpière et rose en tulle. Waouh !

Et tous ces mots, me direz-vous, forment-ils un roman ? Eh bien oui et même plus que ça. Ils façonnent la pâte glaise de vies dont nous — braves Français pris dans leurs malheurs quotidiens : le foulard faut le laisser porter ou non, la sécu en rade, le magnétoscope qui lâche, le Premier Ministre qui perd un point dans les sondages, la star à la mode qui passe de mode, les RTT qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire, où on va en cet hiver, qu’est-ce qu’on fait du chien et de mémé, t’as joué quoi au Loto, enfin tous ces malheurs qui pourrissent notre pays qui est au plus bas selon les dernières rumeurs, y paraît même qu’on va avoir un réacteur atomique up to date et que c’est bon pour l’économie, donc plus de télé, lecteurs DVD, portables, paraboles et Cie, après nous le déluge, on ira se faire irradier à la plage histoire de se bronzer l’intérieur aussi, bref toutes ces préoccupations-là qui vous minent la ménagère de plus de cinquante balais et le yuppie entre deux lignes de coke pour le fun — n’avons pas idée. Des vies comme celles d’Otis Tilson nous échappent parce qu’elles sont surnaturelles. Elles requièrent trois conditions : la couleur, la misère, le ghetto.
Holà Rossinante ! Chez nous aussi on a ça. Ben non, pas encore, pas poussé à ce niveau extrême, pas aussi cru, pas aussi brut de décoffrage. Nous avons trente ans de retard sur les Ricains. Et c’est tant mieux.

Mais… à lire Iceberg on a froid dans le dos. On se dit qu’on y va fissa, qu’on y est presque. Et comment ? Toujours trois conditions : le manque d’éducation, les extrémismes, la fumisterie ambiante ; qu’on pourrait compenser par : le savoir vivre, le respect et la conscience de soi. Parce que si ce livre, hormis la saga démentielle de cette famille marquée par le sort, doit nous apprendre quelque chose, c’est que le milieu est tout — l’égaux les uns les autres est une vaste supercherie —, l’aquarium dans lequel nous nous ébattons fait les poissons que nous sommes. Plus de filtres, on crève. C’est ça la grande leçon. Laissez le PH urbain se dégrader et nous mourons tout simplement, nous nous entredévorons, le gentil guppy devient un piranha inverti prêt à bouffer ses congénères.

Mama Black Widow d’Iceberg Slim est un roman noir où le fric est le moteur du jeu. Et noir aussi parce qu’il nous laisse présager de ce que sera bientôt notre monde. Et nous n’aurons pas tous la chance d’être homo, travesti, black et à la coule.
Cette histoire se passe dans les années 60. Et maintenant ? En 2004 ? Les choses s’améliorent-elles ? Va savoir.

Mama Black Widow est une plongée dans l’enfer des ghettos de Chicago qui ne néglige pas la part de tendresse qui réside chez Otis. Cette part qui fait de lui encore un homme malgré tout, et qui laisse planer un espoir. Mais pour combien de temps ?

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Une Mama maléfique

8 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 26 juin 2014

Avant de raconter l’histoire de ce travesti « incroyablement beau et tragique », qui mit fin à ses jours dans un hôtel sordide de New York en avril 1969, Iceberg Slim l’avait côtoyé durant vingt-cinq ans où lui-même était maquereau. Otis lui a conté son histoire, plus faite de larmes que de rires. L’histoire d’une tragédie familiale orchestrée inconsciemment par une « Mama » vénale et directive. Personnage central du récit, le narrateur en fait un portrait terrifiant, celui d’une « veuve noire » venimeuse et avide de contrôle sur ses proches, sachant manier à merveille le chantage affectif.

On a parfois peine à en croire ses yeux, tant les situations décrites sont rudes, alors que celles-ci ne faisaient que refléter les conditions de vie miséreuses d’une grande partie de la population noire durant la première moitié du XXème siècle aux USA. Si Slim possède un vrai style d’écriture, il n’hésite pas à recourir au street slang le plus trash, quitte à s’appesantir dans des descriptions sordides et parfois limite pornographiques où la sexualité, envisagée uniquement sous le prisme de la violence, ne peut mener au bonheur ou à l’épanouissement. Otis lui-même se considère comme anormal et reproche à sa mère d’avoir fait de lui ce qu’il est, un être coupé en deux : un cœur qui apprécie les jolies filles et un corps qui brûle d’un désir irrépressible pour les mâles virils.

Bien sûr, on peut concevoir que ce dernier est lesté par un milieu social pénalisant avec des conditions d’existence très difficiles, a fortiori pour un homosexuel noir américain, affligé en quelque sorte de la double peine. Et à cette époque, où les émeutes de Stonewall n’avaient pas encore eu lieu, l’homosexualité était le plus souvent vécue comme une malédiction par les hommes qui préféraient les hommes.

On ne peut nier la vie d’Otis est édifiante, faisant de son témoignage une sorte d’Assommoir du peuple afro-américain, où comme dans le roman de Zola, les personnages connaissent un destin glauque ou tragique. La vision des deux écrivains est d’ailleurs très proche dans le sens où ceux-ci se bornent à faire un constat de la situation, sans analyse politique ni dénonciation. Juste la réalité brute, sans artifices et sans concessions, tel un coup poing dans le ventre de nos bonnes consciences.

Quand le dénuement pousse au vice.

7 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 1 mai 2011

Un jour Mama -car c’est bien elle le personnage central du livre- raconte à ses enfants son histoire, ce parcours de vie qui l’a forgée, et c’est à ce moment là que l’on comprend mieux (à défaut d’excuser) d’où provient cette haine viscérale des Blancs qui l’anime, à laquelle s'ajoute une envie irrépressible (qui devient finalement un besoin impérieux et irraisonné) de sortir de sa condition.
Comme elle s’est mal construite, elle ne sait que détruire et faire courir son entourage à sa perte.
Les âmes pures n’y résistent pas longtemps. Les autres non plus.

Un texte fort, trash et cru. Un mal nécessaire pour crédibiliser l’immersion dans ce Chicago perverti.
Une légère inclinaison à la surenchère dans la violence et quelques longueurs, superflues cette fois-ci, sont néanmoins à regretter.

Iceberg

9 étoiles

Critique de Kafooo34 (, Inscrit le 20 janvier 2010, 42 ans) - 25 février 2011

J'ai été totalement absorbé par ce livre, autant que par "PIMP" ". Si vous avez envie d'être plongé dans le ghetto black américain, vous ne pourrez pas espérer mieux. On est partagé, entre horreur et fascination, des personnages tellement humains et monstrueux parfois. Un petit avertissement quand même " Ames sensibles s'abstenir "

West side story à Chicago

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 16 mars 2010

Iceberg Slim, célèbre proxénète des quartiers noirs de Chicago qui a évité de se fondre dans la foule des truands déchus en écrivant sa biographie en prison, raconte, ici, la vie d’un travesti noir dans le ghetto de cette même ville depuis les années trente jusqu’à la fin des sixties. Hasard des lectures choisies par impulsion, j’ai lu ce livre juste après « Un enfant de ce pays » de Richard Wright qui situe son action dans les mêmes quartiers à la fin des années trente. Otis Tilson, notre travesti, aurait donc pu rencontrer Bigger Thomas dans le Southside, vers la trentième rue, mais ceci n’est que de la fiction.

Otis est arrivé à Chicago vers le milieu des années trente quand sa famille a quitté une plantation du Mississippi pour le nord où elle espérait trouver de meilleures conditions de vie mais où elle ne rencontra que la haine, la misère, la ségrégation, la répression et la violence sous toutes ses formes. Le père, véritable homme de la terre, n’a jamais pu s’adapter à la vie du ghetto et a peu à peu sombré dans l’alcoolisme, la mère, attirée par les paillettes, a, elle su résister mais à quel prix. Véritable « veuve noire », elle a détruit tout ce qui l’entoure pour garder la tête haute et sortir de sa condition. « Comment, avec quelle grande sagesse et avec quel amour, elle a guidé ses enfants et leur Papa sur le chemin de la tombe. » Otis, victime des attentions sexuelles d’un diacre éprouve de plus en plus d’attirance pour les beaux garçons malgré sa mère qui veut le protéger mais l’étouffe et l’empêche de gagner son indépendance et sa liberté.

Ce livre est avant tout l’histoire d’une famille du sud rural égarée dans un ghetto urbain où il n’y a pas de travail mais beaucoup de misère, assez d’alcool frelaté, pas mal de drogue et tous les trafics imaginables pour survivre et s’offrir ces plaisirs éphémères sans compter la prostitution qui, sous la soie et le satin, cache de bien grandes souffrances. Un monde fragile où la faim tenaille les estomacs, où l’instruction est trop chère pour les pauvres noirs, où la haine devient une raison de vivre et un rempart contre l’autodestruction. La haine qui est le seul lien qui réunit les deux communautés, « et la triste vérité était que les parents de Frederick haïssaient les noirs tout autant que Mama détestait les blancs. »

Là où Wright a tenté de nous expliquer pourquoi la ségrégation était une des tares de notre époque, Slim se contente d’exposer les faits et de faire vivre ses personnages. Mais quels personnages, Otis le travesti, bien sûr, tenaillé entre son cœur qui le porte vers les jolies filles qui le courtisent et sa chair qui réclame les sensations procurées par les beaux mâles. Un dilemme bien difficile à vivre et qu’il ne surmontera peut-être jamais. Mais, le personnage principal est tout de même le personnage éponyme du roman, Mama, qui veut échapper à sa condition de noir, « … ce qu’on lisait dans ses yeux c’était une haine glaciale, la blessure de sa négritude qui lui empoisonnait l’âme », pour atteindre la fortune et la respectabilité que seuls les blancs obtiennent, quel qu’en soit le prix. Personnage complexe oscillant entre l’amour et la haine, la dignité et la veulerie mais privilégiant toujours la possession des êtres et des biens.

Un sujet somme toute assez banal et largement exploré mais rarement avec une telle véracité, un tel réalisme et malgré tout une grande sensibilité. Le récit dévoile souvent la réalité la plus sordide, parfois l’horreur la plus cruelle, mais soulève aussi l’émotion la plus pathétique, la tendresse, l’amour malgré cette haine tenace qui imprègne tout le ghetto. La seule petite lumière qui sourd dans cette noirceur vient de Berlin quand Jesse Owens écrase les blancs et quand Martin Luther King se dresse pour lancer son message de paix et de respect entre tous les hommes.

Mais, voilà, l’espoir n’était pas pour Otis, « … il était noir dans un monde haineux de blancs où un noir est comme un balai de chiottes. » et de plus « … un pédé, et pour les pédés il n’y a pas de lendemain, juste aujourd’hui. »

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