Du colportage à l'édition : BIFUR et les Editions du Carrefour : Pierre Lévy, un éditeur au temps des avant-gardes
de Catherine Lawton-Lévy

critiqué par Sahkti, le 8 janvier 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La vie de Pierre Lévy
En 1929, Pierre Lévy crée la revue Bifur, dirigée par Georges Ribemont-Dessaignes, qui éditera des auteurs tels que Michaux, Cendrars, Soupault, Leiris, Joyce, Kafka, Heidegger, Fondane ou Sartre. Bénéficiant d’une mise en page de qualité, la revue ne dura pourtant que l’existence de huit numéros, son public acheteur étant trop réduit pour en permettre la survie. Bifur appartenait alors aux Editions du Carrefour, fondées par le même Pierre Lévy, un suisse originaire de Bienne et installé à Paris. Cette maison d’édition commença sa vie avec un livre pour enfants signé Béatrice Appia et poursuivra sur sa lancée en enrichissant son catalogue de noms prestigieux: "Un certain Plume" de Henri Michaux, "La Femme 100 têtes" de Max Ernst ou "Hebdomeros", de Giorgio de Chirico. En 1933 sort "Le Livre brun" de Willi Münzenberg, à qui Lévy cède sa maison d’édition (on pourrait plutôt dire que Lévy a été chassé de sa propre maison). La liquidation de la maison d’édition est prononcée en 1936, l’esprit Lévy avait disparu (Jean-Michel Place a réédité Bifur en 1976, mais il semblerait que le rôle de Pierre Lévy ait quelque peu été effacé).

Catherine Lawton-Lévy, aujourd’hui octogénaire, fille de Pierre Lévy, a voulu rendre hommage à son père et clarifier certains éléments de son aventure éditoriale. Elle raconte son père, sa vie, ses malheurs, la guerre, les persécutions juives, le retour à Genève en 1943, la mort de Pierre Lévy malade en 1945, l’expansion des Editions du Carrefour, l’histoire de Bifur.

Un vrai devoir de mémoire en forme d’enquête familiale, avec un handicap lié à la nature de la démarche: ce livre est un hommage d’une fille à son père, une fille qui ne dispose pas vraiment de talent d’écrivain, qui livre un tas d’anecdotes parfois inutiles, qui oublie parfois la rigueur historique et préfère l’émotion à l’exposé brut des faits.
Ce qui n’empêche pas de se pencher en profondeur sur la vie de cette famille alsacienne juive de Hegenheim, installée dans le milieu de l’horlogerie suisse après l’annexion de l’Alsace par le Reich. Un récit de l’expansion de la bijouterie-horlogerie en Suisse à une époque prospère, avec en parallèle l’évolution d’autres grandes familles, comme les Brandt de La Chaux-de-Fonds qui créèrent Omega à Bienne.
L’ascension d’une famille qui passera de l’horlogerie à l’édition. Pierre Lévy fait Polytechnique à Zürich, une ville pleine de libertés pour les artistes de l’époque qu’il suit avec attention. Sa vocation est là, c’est ce milieu qu’il préfère, à la grande colère de son père. Pierre Lévy part à Paris avec sa jeune épouse, il croise des artistes divers et décide de devenir éditeur afin de publier de beaux livres d’art moderne. Les Editions du Carrefour sont nées, nous sommes en 1928.