Journal d'un lecteur
de Alberto Manguel

critiqué par Fee carabine, le 27 décembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
La Lecture et la Vie
De juin 2002 à mai 2003, Alberto Manguel a entrepris de relire chaque mois un de ses livres favoris et de tenir un journal, mêlant ses impressions de lecture, quelques réflexions sur l'actualité et quelques événements de sa vie quotidienne. La lecture et la vie d'un lecteur, c'est un sujet qui a déjà été traité à plusieurs reprises et même très bien traité par Bernard Pivot ("Le métier de lire") ou Annie François et son délicieux "Bouquiner". Et puis, c'est un sujet que beaucoup d'entre nous "vivent" aussi au quotidien: ces correspondances mystérieuses entre deux livres lus à peu de temps d'intervalle, entre un livre et un article parcouru dans le journal, une musique entendue par hasard à la radio, et ces correspondances plus mystérieuses encore entre une phrase croisée dans un livre et la vie du lecteur...

C'est donc avec beaucoup de curiosité que je me suis plongée dans ce "Journal d'un lecteur". Avec un peu d'appréhension aussi. Auteur d'une passionnante "Histoire de la lecture" (déjà critiquée sur le site), Alberto Manguel a-t-il réussi à proposer une approche originale de ce sujet qui pourrait paraître éculé? Eh bien, à vrai dire, les deux premiers mois, avec "L'invention de Morel" d'Adolfo Bioy Casares et "L'île du docteur Moreau" de H.G.Wells - deux livres que je n'ai pas lus et qui ne m'attirent pas vraiment -, ne sont pas venus à bout de mes réserves. Et puis, je suis tombée sous le charme de l’évocation du "Kim" de Rudyard Kipling, livre multiple, roman d'espionage, roman d'aventure, quête mystique, un livre que j'avais lu dans la canicule estivale, réfugiée dans un coin d'ombre du jardin familial, et qui fut un des grands bonheurs de lecture de mon adolescence, un livre qui évoque pêle-mêle pour Alberto Manguel l'ombre de Saint-Benoît de Nursie, la chenille d'Alice au Pays des Merveilles, Don Quichotte et Sancho Pança, Huckleberry Finn, Tyltyl et Mytyl à la recherche de l'oiseau bleu, des bribes de conversation avec Rohinton Mistry et Michael Ondaatje, et j'en passe.

J'ai éprouvé plus d'une fois l'envie de reposer ce "Journal d'un lecteur" et de fouiller ma bibliothèque afin de me replonger dans le "Désert des Tartares", les "Affinités électives" ou encore les "Notes de chevet" de Sei Shônagon (ce livre étonnant, ramassis de commérages, d'impressions fugaces, de poèmes et de listes en tout genre, né de la plume d'une dame d'honneur de la cour impériale du Japon au Xème siècle, et qui est un pur enchantement). C'est dire que l'érudition et l'enthousiasme d'Alberto Manguel font merveilles, et promènent le lecteur de surprises en enchantements, de ces quelques mots tirés des "Mémoires d'Outre-Tombe" de Chateaubriand, des mots inspirés par la Terreur de Quatrevingt - treize, mais qui sont restés d'une actualité brûlante - "Je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, et de plus étroit d'esprit qu'un terroriste." - aux réflexions sur le "chez soi" suggérées par "Le vent dans les saules" (un classique de la littérature anglo-saxonne pour la jeunesse, peu connu dans les pays francophones mais dont il existe une superbe adaptation en bandes dessinées, réalisée par Michel Plessis, et déjà critiquée sur le site) à cette remarque sur la ville de St John (capitale de la province canadienne du Newfoundland) qui "a la particularité de se trouver hors du temps ordinaire" (une remarque qui prend tout son sel lorsque l'on sait que le Newfoundland, la province la plus orientale du Canada, vit dans un fuseau horaire particulier, décalé d'une demi-heure par rapport à celui des provinces Atlantiques voisines du Nouveau-Brünswick et de Nouvelle-Ecosse).

Bref, c'est un régal que ce nouveau livre d'Alberto Manguel, une gourmandise dont le lecteur passionné aurait bien tort de se priver et qui aura sans doute pour principal effet de lui inspirer une grosse fringale de lectures... Mais qui s'en plaindrait!



NB: Né en Argentine, Alberto Manguel a longtemps vécu au Canada avant de se fixer en France il y a quelques années. Il écrit d'ailleurs en Anglais, et pour l'anecdote, il a réalisé lui-même les traductions de la plupart des extraits reproduits dans l'édition anglaise du "Journal d'un lecteur" (à l'exception de ceux tirés des "Notes de chevet" de Sei Shônagon et du "Faust" de Goethe). Pour les curieux, voici les références de la version originale anglaise: "A Reading Diary" paru chez Alfred A. Knopf, isbn 0-676-97590-9.
Exploration littéraire 9 étoiles

Qu'il doit faire bon se promener dans la bibliothèque d'Alberto Manguel, riche de plus de 30.000 volumes. Savourer les titres, caresser les couvertures, humer les odeurs de papier et se dire que chaque volume a une histoire, renferme des secrets...
Qu'il est agréable aussi de prendre le temps de relire les livres que l'on a aimés, ceux qui nous ont marqué et d'avoir le recul suffisant (mais ce n'est pas toujours possible) pour les considérer autrement, avec un regard neuf ou une vision différente en fonction de l'expérience et/ou de l'actualité.
Sur ce point, la démarche entreprise par Manguel est hautement enrichissante et intéressante. Entreprise salutaire à laquelle nous devrions tous nous livrer un jour ou l'autre, dans la mesure de nos possibilités, car je trouve que cette façon de faire apporte un regard neuf sur les autres mais aussi et surtout sur soi, permet de prendre de la distance aux choses et de mûrir, d'une certaine manière.
J'ai été touchée, dans ce livre, par la tendresse dont fait part Manguel à l'égard de "ses" livres, de "ses" auteurs, il en parle amoureusement, tout en étant conscient de leurs faiblesses.
Une chose est sûre, Manguel m'a donné envie de relire certains auteurs, d'en découvrir d'autres. Il suffit d'allonger le temps...

Sahkti - Genève - 50 ans - 24 juillet 2007


A savourer 9 étoiles

C'est un livre écrit par un amoureux de la lecture et qui s'adresse à des amoureux de la lecture. L'auteur, qui est avant tout un lecteur comme nous, a choisi quelques livres de sa bibliothèque, des livres qui ont une influence sur lui, et il nous les présente en mêlant son discours de petits faits de la vie quotidienne, d'anecdotes, de réflexions et de citations.

Je l'ai lu avec un énorme plaisir. C'est une lecture d'appoint, ce n'est pas une lecture à temps plein, on le lit "distraitement" voire nonchalament par moment : on le prend, on le laisse, on lit de petits fragments avant de retourner à d'autres lectures. Ce qui permet de faire durer le plaisir. Et on y revient chaque fois avec le plus grand bonheur car ce livre est vraiment amusant et savoureux tout en étant érudit.

Cette lecture va vous ouvrir l'appétit ! Pour moi je retiens tout spécialement Kipling, et puis Don Quichotte (pas le notre, celui de Cervantes !) car Manguel en parle vraiment bien, et aussi "Les mémoires d'outre-tombe" de Chataubriand. Et bien sur je vais me procurer "Une histoire de la lecture", de ce même Manguel, qui est critiqué sur le site.

Saule - Bruxelles - 58 ans - 6 mai 2007


Montaigne au XXième siècle 10 étoiles

Quelle énergie lectrice développe ici Manguel! Revisitant sa bibliothèque, il nous incite à en faire de même pour la nôtre. Un réseau infini de connexions se met en place dans l'espace et dans le temps : une communication s'établit indéfiniment revigorée par de nouveaux titres, de nouvelles découvertes littéraires. Tous ces livres non lus, en attente, qui parsèment notre vie prennent soudain un intérêt immédiat : Chateaubriand doit être lu, de même que Sei Shônagon. On ne peut plus attendre d'autant plus qu'au détour d'une page l'attente devient espoir grâce à l'espagnol qui selon le mot de Gide "confond l'attente et l'espoir". Manguel est le lecteur optimal qui établit des relations inespérées et toujours bienvenues. On l'imagine facilement dans la bibliothèque de son abbaye, au seuil de laquelle se trouve la devise "LYS CE QUE VOUDRA", comme une réincarnation de Montaigne, venu défier tous les discours sur la fin du livre, du texte, de la littérature. Elle a encore de bonnes années devant elle, n'en doutons pas; il nous faudra tant de jours pour déguster les livres cités qui deviennent autant de lectures incontournables.

Joce - - 58 ans - 13 février 2005