Miel de bourdon
de Torgny Lindgren

critiqué par Fee carabine, le 25 décembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
La douceur du miel, la brûlure du sel
Le romancier suédois Torgny Lindgren n'a jusqu'à présent pas reçu beaucoup d'attention sur le site, et c'est dommage. Il est l'auteur d'un admirable "Bethsabée", une évocation du destin de celle qui fut l'épouse d'Urie puis du Roi David et une méditation poétique sur la soif de pouvoir, la terrible puissance du désir et finalement, après bien des détours, sur l'amour. Un autre très beau livre de Torgny Lindgren, "La lumière" retrace l'histoire d'un petit village dont la population fut décimée par une mystérieuse épidémie et qui revient à la vie, c'est une fable noire, imprégnée d'un humour parfois féroce et débordante d'humanité.

"Miel de bourdon" se déroule comme "La lumière" dans un village isolé du Nord de la Suède, où la narratrice, dont nous ne connaîtrons jamais le nom, s'est rendue pour donner une conférence. Sa tâche accomplie, elle est hébergée pour la nuit par Hadar, un fermier vivant dans une maison isolée à une vingtaine de kilomètres du village et qui la frappe d'emblée par sa maigreur effrayante. Elle ne tarde pas à découvrir qu'Hadar est rongé par un cancer de l'estomac et qu'il ne se nourrit plus que d'un peu de lard salé - la saveur du sel sur sa langue est d'ailleurs le seul plaisir qui lui reste. Hadar n'en a plus pour longtemps à vivre, mais il se refuse à mourir avant son frère Olof, qui vit dans la maison voisine et auquel il voue une haine viscérale et réciproque. Contrainte de prolonger son séjour chez Hadar à cause d'une tempête de neige, la narratrice fait également la connaissance d'Olof. Aussi bouffi de graisse que son frère est maigre, condamné par son coeur malade, Olof ne se nourrit que de sucre et il éprouve une véritable passion pour le miel et plus particulièrement le miel de bourdons que leur grand-père récoltait jadis au cours de longues expéditions dans les forêts avoisinantes.

Lorsqu'elle n'est pas sur les routes pour donner des conférences, la narratrice est écrivain, spécialisée dans les biographies de saints ou de criminels, personnages hors normes qui portent sur leurs épaules le poids de la bonté ou de la méchanceté humaine. Le sujet de son prochain livre n'est autre que Saint-Christophe, dont la vocation fut tout simplement d'être signe et représentation, une manière peut-être pour Torgny Lindgren d'attirer l'attention du lecteur sur la charge symbolique des personnages des deux frères et leurs deux visions de l'existence diamétralement opposées: une vie marquée par l'effort, le travail et la souffrance pour Hadar, une vie consacrée à la recherche du bonheur, de la douceur, pour Olof. Et c'est là que le bât blesse, l'opposition entre les deux frères et leurs conceptions de la vie, aussi excessives l'une que l'autre, m'a souvent paru simpliste. "Miel de bourdon" est par conséquent bien loin d'atteindre à la force et à la profondeur de "Bethsabée" ou de "La lumière". Il reste que ce récit est bien écrit, d'une lecture agréable et entraînante et que c'est une occasion de découvrir en douceur l'univers de Torgny Lindgren, même si je conseillerais plutôt à ceux qui ne le connaîtraient pas encore de commencer par "Bethsabée" qui est un pur chef-d'oeuvre.

NB: La plupart des livres de Torgny Lindgren sont parus en Français chez Actes Sud. "Bethsabée" et "La lumière" sont disponibles dans la collection Babel.
Huis-clos pour un trio 7 étoiles

Deux hommes et une femme. Elle écrit des récits sur la vie des saints et donne des conférences. A la sortie de l'une d'elles, elle est raccompagnée par un homme qui doit l'héberger. La neige abondante l'empêche de quitter les lieux le lendemain. Alors elle fait la connaissance d'Hadar. Atteint par un cancer et en bout de course. Hadar a un frère, Olof, son voisin, qu'il déteste et dont il souhaite la mort. Un frère qui ne vit que par et pour le sucre, au point lui aussi d'être sur le point de mourir. Peu à peu, la jeune femme pénètre les secrets des uns et des autres, deux êtres qui tiennent uniquement grâce à la force que leur donne le refus de laisser le plaisir à l'autre de mourir avant lui. Trio étouffant, huis-clos intimiste et morbide. une femme disparu, un fils mort par bêtise et cette jeune auteur qui prend ses marques et gère le quotidien des deux hommes.

Un récit grave et un ton sombre pour Torgny Lindgren qui aborde en douceur le fin de vie, le mérpis, la haine familiale et les secrets trop lourds à porter. Chaque frère tente d'oublier ses péchés en ressassant le malheur de l'autre. Rire des autres permet de s'oublier soi-même. Un récit pesant par moment, non dans l'écriture, mais dans l'atmosphère. On se sent prisonnier de ces deux petits maisons et de ces deux malades acariâtres. On souhaite les voir mourir tout en s'étant attachés à eux. La jeune femme qui les accompagne émet le même souhait... Un roman dense et étrange à découvrir, une autre facette de la plume talentueuse de Lindgren.

Sahkti - Genève - 50 ans - 21 janvier 2006