Texaco de Patrick Chamoiseau

Texaco de Patrick Chamoiseau

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Ena, le 24 décembre 2004 (Le Gosier, Inscrit le 25 octobre 2004, 61 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 093ème position).
Visites : 7 661  (depuis Novembre 2007)

Tranche de France caraïbéenne II

"Texaco" de par la volonté l'auteur est rebutant pour ce qui est du début. L’écriture est confuse comme les pensées de ces personnages vivants dans une plantation comme esclaves à la Martinique. L’abolition les verra quitter le morne pour aller vivre en ville, l’écriture devient alors plus ordonnée jusqu’à devenir brillante et fluide. Leur intégration dans ce monde en pleine mutation soumis aux influences croisées des continents qui l'entoure est une fois de plus une fête pour nous lecteurs qui suivons leurs petites aventures quotidiennes avec amusement et beaucoup de passion. Pour mémoire "Texaco" a obtenu le prix Goncourt en 1992.

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L'essence de l'âme antillaise

9 étoiles

Critique de Millepages (Bruxelles, Inscrit le 26 mai 2010, 64 ans) - 13 avril 2024

Une partie de l’Histoire de la Martinique nous est contée dans une langue savoureuse panachée ici et là de phrases créoles ….avec traduction instantanée, je vous rassure.

C’est d’abord à travers le vécu d’ ’Esternome Laborieux et d’Idoménée Carmélite Lapidaille – le papa et la « manman » de Marie-Sophie Laborieux, l’héroïne du roman – que l’on suit l’évolution de ce TOM français. À l’époque de leur naissance, les toits des cases des plus démunis sont encore constitués de paille de canne à sucre. Mais même les structures plus dures ne résisteront pas à l’éruption de la montagne pelée faisant 30.000 morts dont Ninon, le grand amour d’ « Esternome mon papa » comme l’appelle affectueusement Marie-So. En ce temps-là, l’esclavage a beau avoir été aboli, les anciens esclaves forment une sorte de caste reconnaissable à la couleur de leur peau et qui continue à être exploitée par les Békés – les Créoles d’origine européenne. À chaque velléité de protestation contre les conditions de travail, des Koulis indiens sont engagés en remplacement des travailleurs contestataires.

Tout en accumulant les « djobs » chez les « Milâtres » et les « Blancs-France » de l’ « En-ville » où en tant que toute jeune fille elle est rarement respectée avec tous les abus que cela sous-entend, Marie-So va peu à peu prendre de l’envergure au sein de la communauté noire, jusqu’à en devenir l’âme. C’est ainsi qu’elle fondera un nouveau quartier à l’ombre d’une usine Texaco pour que ses semblables et elle-même n’aient pas à vivre dans ces « casiers d’achélème » qui paraissent leur avoir été destinés. Mais la lutte est âpre contre les Békés qui ne veulent pas de ce quartier dérangeant, l’évacuent plusieurs fois, sans toutefois réussir à le raser complètement, ce qui était pourtant le projet initial du « Christ », l’urbaniste chargé de mettre de l’ordre dans l’aménagement de ce faubourg naissant de Fort-de-France.

Elle compte bien profiter d’une visite du Général de Gaulle pour le sensibiliser à la cause de sa communauté. Hélas, le protocole et son rang l’empêchent d’approcher le chef d’Etat ; pire elle ne peut percevoir que des bribes de discours parmi lesquels l’exclamation suivante « Mon Dieu, mon Dieu, que vous êtes Français ! ». Encore que dans le brouhaha, d’autres ont cru comprendre « Mon Dieu, mon Dieu, comme vous êtes foncés !».

Bref, le combat continuera sans l’aide des décideurs de la Métropole pour que Marie-So et sa communauté puissent poursuivre leur « benzine de vie » à Texaco, qu’ils considèrent désormais comme leur patrie. Mais ne devrait-on pas plutôt dire « matrie », vu le genre de la fondatrice ?

Où comment me redonner envie de découvrir des oeuvres romanesques francophones contemporaines

9 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 23 novembre 2013

Après un certain nombre de lectures romanesques fades et peu marquantes, je me suis tournée vers les essais et les classiques, pensant trouver dans ces derniers un peu moins de mauvaises surprises. En arpentant la bibliothèque de mon lieu de travail actuel, j'ai vu le nom de Patrick Chamoiseau, écrivain dont j'avais beaucoup apprécié ses évocations métaphoriques et lyriques dans Les neufs consciences du Malfini. La seule chose que je pouvais lui reprocher était le manque d'intrigue de son roman. En lisant le résumé de Texaco, il me semblait que cette fois, il y avait bien une histoire concrète qui nous était contée, en plus appuyée sur des faits historiques et sociétaux. J'ai donc dérogé à mes habitudes et décidé de tenter à nouveau une lecture d'un auteur de romans actuel. Bien m'en a pris !

Avant même le début du récit, dans la présentation chronologique des évènements qui marqueront le fil du roman, Patrick Chamoiseau surprend et se démarque déjà. Grâce aux surnoms évocateurs et subtils qu'il donne aux personnages et évènements, aux jeux de langues écrites et orales qui jalonnent chaque page. Mais c'est aussi l'enjeu de ce roman qui interpelle : retracer une page de l'histoire de la Martinique et des actions colonisatrices et revendicatrices, en questionnant plutôt le symbolique que le politique, et en laissant une large place aux personnages qui ont marqué l'histoire "intime" plutôt que l'histoire "officielle".
Ensuite, chaque page qui défile nécessite un recours au dictionnaire. On met quelques chapitres à s'y faire, mais c'est un enchantement que de voir une telle richesse de vocabulaire et de mélanges des genres : du français littéraire, du jargon, du créole, du franco-créole, du franco-martiniquais... des mots doux, des mots puissants, des mots durs. Un apprentissage page à page des particularités géographiques et culturelles de l'île où se déroule l'histoire, à partir de mots tels que : mélasse, yole, igname, bagasse, aléliron, mulâtre, tamarinier, morne, opaline...
A la page 100, l'auteur qualifie les martiniquais comme "un peuple qui dérouterait les dictionnaires" ; je confirme!

Mais c'est aussi le regard critique et subtil sur l'évolution des conditions de vie et des moeurs des autochtones, anciens esclaves et colons martiniquais qui fait de ce roman un livre épatant. Les témoignages des membres d'une même famille s'étalant sur plusieurs générations participent à l'élaboration de cette mémoire collective. Épatant.

Esternome, mon Papa !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 58 ans) - 1 mai 2010

Récompensé par le prix Goncourt en 1992, Patrick Chamoiseau signe - avec Texaco - une oeuvre exceptionnelle !
Un Roman, un Documentaire, l'Histoire de la Martinique, un Manifeste....... Texaco est tout cela à la fois .

Marie-Sophie Laborieux ( fondatrice du quartier Texaco , la narratrice ) nous conte la vie de ses parents, puis la sienne ; en grande partie consacrée aux combats menés pour fonder le quartier de Texaco. Esternome Laborieux ( "mon Papa" ) est esclave d'une habitation de Saint Pierre quand l'esclavage est aboli (1848 ). Il est alors affranchi ("libre de savane") et apprend le métier de charpentier avec son ami Théodorus (Koco-doux ). Pour échapper à sa condition, il se rend à l'En-Ville ( Saint Pierre ). Il y rencontrera Ninon Cléopâtre avec qui il vivra un Amour passionné. Mais la belle Ninon finira par suivre un" bel isalop à sérénade". Jusqu'au jour ou la Soufrière (volcan) fait des siennes, tuant et jetant à la rue grande majorité de la population des campagnes. C'est l'exode vers l'En-ville ( Saint Pierre ) et Fort de France. C'est cette dernière destination que suivra Esternome. Il y rencontrera Idoménée Carmélite Lapidaille, aveugle, habitante du quartier des Misérables. Elle y attendra bientôt une marmaille miraculeuse ; Marie-Sophie .

C'est d'elle-même dont l'auteur parle désormais ; de ses multiples "djobes", "amants", jusqu'à son installation à l'ombre des réservoirs de la Cie pétrolière Texaco. Rapidement rejointe par de multiples compagnons d'infortune, le quartier TEXACO se crée de toutes pièces. C'est une mangrove urbaine, une maçonnerie de survie, un espace créole de solidarités neuves. Mais le Béké de la Cie pétrolière lutte et fait détruire régulièrement les habitations sauvages. L'intervention de Papa Césaire (Maire de Fort de France) - un mulâtre communiste -sauvera Texaco et permettra à l'En-ville d'intégrer son âme. Marie-Sophie poursuit sa vie déclinante, connaît un dernier Amour (Iréné, le pêcheur de requins) et rencontre "l'Oiseau de Cham" ( l'auteur ) pour lui livrer ses souvenirs. Oiseau de Cham devient le Marqueur de paroles, celui qui endosse la responsabilité de l'Histoire de Texaco et celle de la Martinique du XVII au XX ième siècle.

430 pages qu'on voudrait voir ne jamais s'achever ! Un mélange de français et de créole, des noms et expressions chantantes et imagées. Un "Papa Esternome" extraordinaire, haut en couleur. Des rencontres improbables et la vie.... intense, fragile, mouvante. On sent l'Histoire en marche (la colonisation, l'abolition de l'esclavage, l'émergence du combat politique). Oiseau Cham est un fantastique conteur. Ce roman vaut tous les manuels d'Histoire sur la Caraïbe. Tout simplement INDISPENSABLE !

Inoubliable!!

9 étoiles

Critique de Boboss (, Inscrit le 30 octobre 2008, 48 ans) - 30 octobre 2008

Quel texte! me voila depuis trois mois à la Martinique et la découverte des auteurs îliens me paraissait être une obligation. voila le deuxième ouvrage de Patrick Chamoiseau que je dévore littéralement. Le verbe mélange le français, le créole. Le style nous plonge dans la vie de ces personnes qui ont connu le pire et le meilleur. Lové dans mon fauteuil je me plonge dans ces vies si passionnantes. je pense que Patrick Chamoiseau fera que l'histoire de la Martinique et plus particulièrement l'épisode de l'esclavage resteront dans les mémoires collectives avec des manuscrits comme celui-ci, de personnes qui se sont battues pour leur liberté.

Merci au "Marqueur de Paroles"

10 étoiles

Critique de Feint (, Inscrit le 21 mars 2006, 60 ans) - 22 mars 2006

Ma maman qui, elle, en est, m'avait dit : "Tu n'es pas de là-bas, tu ne vas pas comprendre." Ai-je tout compris ? Ai-je compris la même chose qu'elle ? Je ne peux le dire. C'est vrai, je ne suis pas de là-bas, c'est pour cela qu'il me faut, qu'il nous faut un "Marqueur de paroles", comme Chamoiseau lui-même modestement se désigne. La Martinique vit devant nous sous sa plume. Par la merveille de son écriture, de son français châtié délicieusement et savamment nuancé de créole, le destin individuel d'un homme puis de sa fille devient un destin collectif, celui du petit peuple des Antilles, né de l'esclavage, il n'y a pas si longtemps. Les amateurs de Jorge Amado ou de Garcia Marquez ne pourront pas rester indifférents à cette merveille de notre littérature contemporaine.

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