L’amertume des mots doux
de Radu Bata

critiqué par Kinbote, le 21 mars 2024
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Toute la cruauté et l'amour du monde
Sous des dehors de comptines, de vers rythmés et rimés, les poésettes de Radu Bata disent toute la cruauté et l’amour monde. Elles sont traduites dans une douzaine de langues. Le coordinateur et traducteur de l’anthologie en trois tomes, "Le Blues roumain", l’auteur, entre autres, de "French kiss" et de "Le fou rire de la pluie" définit ses poésettes comme des « poèmes sans prise de tête ». Si, comme chez un Jacques Prévert, ses poèmes se livrent clairement, sans complications formelles ou brouillage hermétique, c’est pour mieux dispenser tout leur fiel mais aussi leur tendresse.

"La poésie c’est quand après une souffrance

Tu accouches d’un vers lumineux.

La poésette c’est quand on te coupe les doigts

Mais tu écris avec le doigt d’honneur."

En réduisant sa manière verbale (sous forme d’afaurismes, distiques, micro-poèmes), Radu Bata donne avec L’amertume des mots doux, joliment sous-titré adages ma non troppo, tout le suc et la saveur de sa poésie.

Souvent douces-amères, parfois féroces, jamais désespérées et toujours lancées d’une lune imaginaire, ses flèches visent les étoiles et retombent en étincelles.

"Dans le mot âme on peut mettre du persil

et des fleurs d’oranger,

ça sent toujours l’égarement.

Dessine des moustaches de chat

Au soleil qui se couche

Et tu entendras l’horizon ronronner."

On retrouve dans cet ouvrage les tropes et thèmes chers au poète : la pluie et les nuages, le sommeil et les rêves, l’amour la poésie, comme a écrit Eluard.

"La seule chose dont on peut être sûr dans la vie est le rêve.

La femme est le meilleur tsunami de l’homme.

La zone de confort de la poésie est la souffrance."

Le ciel, la nuit, le rêve sont pour ce jongleur de mots des lieux de refuge, les universaux auxquels se raccrocher quand le cœur lâche, quand le courage décroche.

"L’horizon a été inventé pour avoir à quoi s’accrocher quand on est désespéré."

Radu Bata est un moraliste qui, au moyen de ses pirouettes verbales, nous délivre ses leçons sur l’existence. Il bat en brèche les attendus de la vie courante, les faux-semblants de la feelgoodmania en temps de guerre ou d’emprise capitaliste et mafieuse.

"Dans la vie, il y a des hauts et des bas résille."

"Ce sont les robes qui bonifient le vent."

"Les ombres sont plus vraies que les gens qu’elles représentent."

"Elle a mis mon cœur dans sa poche et s’en est allée

dans le quartier des pickpockets."

"Pourquoi les artistes sont muets ?

Parce que le non dit.

(Injustice et boule de gomme)"

"Facebook : deux milliards de cosmonautes

Dans un vide sidéral."

"Quand la rose ne veut pas d’ouvrir les pétales,

tu jouis avec les épines.

(Cupidon n’est pas une flèche)"

Quelques saillies sont décochées aux auteurs-rois.

"L’écrivain est un globe-trotter qui tourne autour de son nombril."

"Les auteurs de cour écrivent avec une plume d’autruche."

Les apophtegmes relatifs à l’exil sont particulièrement touchants, quand on sait le parcours de l’auteur.

"L’exil est une toile d’araignée

dont tu te fais un habit pour l’hiver."

"On peut quitter son pays,

on ne quitte jamais sa langue."

"L’exil est un mariage blanc avec une veuve noire.

(Le nuancier des peines)"

"Donnez-moi un sol et je chanterai la terre."

Et, pour terminer cette brève sélection d’extraits, cet aphorisme qui prend à contre-pied le surhommesque aphorisme de Nietzsche :

"Ce qui ne te tue pas te rend plus flasque."

Pour ne pas s’égarer dans le vacarme communicationnel et garder le cap de la poésie, voici donc cent seize pages de pensées malicieuses à souhait qui décapent, ponctuées d’une dizaine de superbes dessins originaux de Rodica Costianu qui se prêtent parfaitement à l’univers bataïen, exprimant le tissage subtil entre leur force de frappe et leur ligne claire.

Comme les précédents ouvrages traduits ou écrits par Radu Bata aux Editions Unicité, la couverture est signée de l’artiste Gwen Keraval.