Journal - volume 3: Les années d'exil 1968-1989
de Sándor Márai

critiqué par Poet75, le 4 janvier 2024
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Journal d'exil
De 1943 jusqu’à sa mort, à San Diego, en Californie, en 1989, le hongrois Sándor Márai tint fidèlement son journal. De cette œuvre monumentale, puisqu’elle compte dix-huit volumes dans son édition hongroise, seuls des extraits nous sont proposés en traduction française. Le troisième et dernier volume, couvrant les années 1968-1989 et publié chez Albin Michel, vient de paraître. En ces années-là, se poursuit l’exil de l’écrivain, parti de son pays pour des raisons politiques dès 1948, avec son épouse, désignée le plus souvent par cette simple initiale L.
C’est d’ailleurs un des points forts du journal de Márai que sa complicité, que sa proximité, avec L., que ce souci de l’autre, puisque, malheureusement, L. souffre d’une longue maladie, que ce manque cruel, après sa mort en 1985. Avant cela, avant ce départ qui le laisse inconsolable, L. est omniprésente dans la vie comme dans le journal de Márai et les nombreux passages qui en font état comptent parmi les pages les plus essentielles de ce livre. Le journal de cet écrivain atteste d’abord et avant tout de la profondeur d’un amour.
Depuis son départ de Hongrie, Márai ne se sent chez lui, à proprement parler, nulle part. Après avoir vécu en Suisse, puis à Naples, puis à New York, le couple décide de revenir en Europe pour s’établir à Salerne, laissant derrière eux leur fils adoptif János qui, quant à lui, s’est parfaitement adapté à la vie américaine, un choix qu’accepte Márai mais tout en le déplorant en même temps. Il faut dire que János semble ne partager aucun des goûts de son père adoptif, dont il n’a pas lu un seul des livres, au point que, quand Sándor et L. viennent lui faire une visite, ils ressentent comme une gêne du côté du jeune homme, à présent marié et ayant parfaitement adopté le style de vie des Américains.
Márai décide cependant de retourner vivre en Amérique, mais à San Diego, en 1979, pour y passer ses derniers jours, loin d’une Europe où il a le sentiment que « tout s’est fossilisé et est devenu vestige ». Sa joie, il la trouve dans les quelques projets d’écrivain qu’il peut encore entreprendre et mener à bien, mais surtout dans ses lectures. Il lit et relit des auteurs hongrois comme Arany, Jókai ou Krúdy mais se replonge aussi dans les littératures française, anglo-saxonne ou allemande. Il apprécie, entre autres, Stendhal, trouve que Dickens est un maître de la caricature, etc. Et puis, il se fait observateur du monde tel qu’il va, tel qu’il lui apparaît en tout cas, avec ses dictatures, ses violences, ses menaces terrifiantes (l’arme nucléaire qui prolifère). À plusieurs reprises aussi, il évoque Spinoza, dont manifestement il se sent proche. Márai n’aime pas les religions et il abhorre les prêtres. Pour lui, leur enseignement n’est qu’hypocrisie et que mensonge éhonté. Il ressent de plus en plus les effets de la vieillesse et laisse poindre la mort, toujours plus présente au fil des pages, mais dans un livre qui, paradoxalement, ne manque pas de vie.
Trois ans après la disparition de son épouse, quelques mois après la chute du mur de Berlin, en 1989, Sándor Márai mit fin à ses jours. Son œuvre, remarquable à bien des égards, continue, elle, de vivre.