Jeanne du Barry: Une ambition au féminin
de Emmanuel de Waresquiel

critiqué par Colen8, le 29 novembre 2023
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Sous les derniers feux d’Ancien Régime
Connue pour sa grâce et sa beauté la Comtesse du Barry ne manque d’atouts pour se faire aimer. La simplicité, la gaieté, l’intelligence, l’amitié généreuse, l’élégance sans ostentation, une grande culture pour servir son goût immodéré des arts. Collectionneuse passionnée, ordonnatrice des spectacles donnés au Roi, mécène envers les artistes et artisans de son temps : peintres, sculpteurs, musiciens, auteurs de comédies, architectes, ébénistes, tapissiers, orfèvres, céramistes, ses choix orienteront la transition du lourd style « rocaille » d’alors vers le « Louis XVI » plus épuré. C’est en cela qu’elle se fraiera sans mal un chemin à la Cour malgré les pamphlets, libelles et mensonges ayant accompagné une ascension aussi improbable que fulgurante dans les faveurs de Louis XV.
Son patronyme, Jeanne l’a d’abord emprunté à Jean du Barry ex amant supposé aussi sulfureux qu’intéressé. Elle le fait légitimer grâce à un opportun mariage ultérieur avec Guillaume le jeune frère célibataire. Sans cela, impossible d’accéder au rang si envié de favorite après sa rencontre amoureuse avec le Roi, encore moins d’être présentée à la Cour lors d’une cérémonie à l’étiquette diablement protocolaire. Sa vie durant Jeanne du Barry a voulu masquer une naissance douteuse la faisant qualifier de bâtarde, ce qui ne l’a jamais empêchée d’être à l’aise avec tout le monde. Si elle a résisté à l’hostilité profonde de la famille royale, à celle des princes de sang, à la méfiance des courtisans et autres grands du royaume, elle a veillé à prendre toujours soin de sa domesticité.
Sa liaison royale interrompue par la mort de Louis XV de 37 ans son ainé aura peu duré, à peine six ans. Immédiatement éloignée, toujours pugnace, assaillie de créanciers, d’humeur égale malgré l’adversité, sa résidence privée de Louveciennes devient son refuge deux ans et demi plus tard. Une nouvelle vie, une cour plus personnelle animée de nombreux visiteurs s’y organise en présence de quelques familiers, voisins et admirateurs fidèles. Ses dernières amours vite connues de tous iront au duc de Cossé-Brissac, comme elle collectionneur d’arts et grand amateur de jardins comme de botanique. Bientôt cueillie par la Révolution une vingtaine d’années à vivre lui seront restées avant sa condamnation puis son exécution à la guillotine sous la Terreur.
Intrigué par sa présence dans l’ombre du procès de la Reine, Emmanuel de Waresquiel va tirer hors des archives connues le fil incertain de cette vie embrouillée dont les traces ont été volontairement salies ou gommées. Des manuscrits de la bibliothèque de Versailles lui font redécouvrir des fatras d’inédits, accéder à d’autres fonds documentaires privés, publics ou étrangers. A travers ce portrait de femme magnifiée dont une partie reste néanmoins extrapolée, il utilise à merveille la dimension anthropologique et sociale de l’historiographie récente pour disséquer la chute d’une société de fin de règne étouffée sous le poids de ses privilèges.