La rage et la révolte
de Alèssi Dell'Umbria

critiqué par Cyclo, le 8 septembre 2023
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Les raisons de la colère
Pour revenir sur les dernières émeutes et le mal-être des cités et de leurs habitants, ados et jeunes hommes en particulier, qui ne trouvent pas, et parfois ne cherchent pas de travail, car ils ont vu clairement au travers de leurs parents et grands-parents, ce qu’est l’exploitation du prolétariat, il est bon de relire le livre d’Alèssi Dell’Umbria, "La rage et la révolte", paru chez Agone en 2010 : encore un livre que je possédais depuis plusieurs années, mais j’attendais le moment propice pour le lire. Le livre a, en fait, été écrit après les émeutes de 2005 (publié en 2006 sous le titre éloquent "C’est de la racaille, eh bien j’en suis", éd. L’échappée, titre faisant allusion au chant révolutionnaire français "La canaille", datant de 1865, et repris par les Communards de 1871).

L’auteur remarque que les incendies de la banlieue posent la question de la lutte sociale réelle. Les jeunes précaires qui naissent et grandissent dans les cités et qui y sont relégués sont le fruit du capitalisme et de son fonctionnement : "La précarité est, à la base, dépendance. Des grèves dans les call-centers, par exemple, annoncent que la main-d’œuvre flexible et démobilisable ne se laisse plus imposer le chantage à l’emploi. On fera à ce propos la même remarque qu’à propos des luttes de chômeurs ou de sans-papiers : l’essentiel n’est pas dans les concessions qu’ils peuvent arracher, toujours relatives, mais dans la constitution d’une expérience commune, d’un savoir, d’une sensibilité qui leur appartiennent en propre".

L’auteur ajoute la grande nouveauté : "Alors que le discours idéologique – fût-il radical – ne sait pas s’échapper du cadre de l’écrit, la jeunesse révoltée redécouvre cette pratique de l’oralité que l’école de la République a précisément réussi à éradiquer partout ailleurs". Effectivement, la majorité de ces jeunes parlent une langue qui n’a rien à voir avec celle de l’école, où ils se sentent mal, méprisés, humiliés en permanence, stigmatisés aussi pour cause de religion. Les filles aussi ; l’auteur remarque que "Ce n’est évidemment pas en excluant les filles voilées de l’école qu’on les incitera à tomber le tchador". Et ce d’autant plus que ces jeunes n’ont plus le service militaire, "formidable machine à discipliner […] ce dont rend bien compte le leitmotiv des vieux cons : « Ces jeunes, il leur faudrait une bonne guerre »". L’auteur conclut que désormais "l’ennemi vient de l’intérieur : c’est l’insécurité, identifiée aux jeunes, puis aux immigrés et à leur descendance".

L’auteur note que "la question de l’intégration ne se pose plus, pour la simple et bonne raison que nous vivons la désintégration accélérée de tout lien social. Dans ces conditions, ce que l’on appelle « intégration » se ramène simplement au fait de se rendre transparent et inoffensif". La désintégration des communautés est directement liée à la politique du logement social. L’auteur constate que les cités ont été construites avec "dès le départ cette volonté de rendre impossible toute forme de rassemblement, de solidarité et de proximité entre les habitants" et que la banlieue est le lieu du ban (bannissement). Il conclut que dans "la société dans laquelle nous vivons {...] l’Autre n’est admis qu’à distance".

Le président peut toujours en appeler à l’autorité parentale ; l’auteur lui rétorque : "Les institutions de la République n’attendent de ces mêmes familles immigrées qu’une chose, qu’elles disciplinent leurs rejetons – et cela alors que les conditions de ces mêmes familles rendent hypothétique jusqu’à l’autorité patriarcale traditionnelle". Et, pour reparler du ban : "Il y a ceux que l’on a bannis en douceur, les incitant à « faire construire », en s’endettant à vie – rien de mieux que l’endettement pour s’assurer de la passivité et de la tranquillité d’un travailleur – ces millions de frankaoui reclus dans leurs pavillons de banlieue ; et il y a ceux qu’on a bannis de force, dans des endroits comme Clichy-sous-Bois, où il n’y a même pas une station de RER ou une gare ferroviaire qui permettrait aux jeunes de s’échapper un peu".

On peut être étonné que cette jeunesse dévoyée n'explose pas plus souvent.