Deux étés
de Erik Orsenna

critiqué par Lucien, le 17 mars 2001
( - 68 ans)


La note:  étoiles
D'amour et d'océan...
Une petite île au large de la Bretagne, au début des années 70.
Un paradis marin de landes et de granit rose, partagé l’hiver entre quelques rares habitants sédentaires, de juillet à septembre entre les nomades, méprisés « touristes » ou nobles « estivants » qui occupent en famille d'ancestrales demeures presque exclusivement transmises par héritage. Pas de voitures, presque pas de tracteurs, quelques rares vélos, mais beaucoup de marcheurs sur ce confetti d'un kilomètre sur trois au microclimat de rêve.
Un continental réussit à s’installer dans l'île. C’est un ancien pianiste, ex-ami de Jean Cocteau, traducteur pour le compte des éditions Fayard, qui lui proposent de traduire, dans la langue de Molière, Ada ou l’ardeur, un roman du capricieux et génial écrivain russe (mais anglophone) Vladimir Nabokov, l’auteur du sulfureux Lolita.
Appâté par un gros chèque, Gilles accepte de traduire l'intraduisible. Mais l'île incite au farniente plus qu'au labeur acharné, et il traîne. Nabokov s’énerve, Fayard s'impatiente, d'autant plus que Nabokov est « nobélisable ». Gilles triche, réclame des délais supplémentaires, évite de répondre aux multiples lettres de rappel. C’est alors qu'une madame de Saint-Exupéry, authentique parente de l'auteur du Petit Prince, propose de l’aide au traducteur qu’elle aime en cachette : elle réunira parmi les estivants une clique d’assistants suffisamment au courant des subtilités de l'anglais et amoureux de la langue française, dont chacun traduira une partie du roman pour que le tout soit bouclé
à la date fatidique du premier septembre, dernier délai accordé par l’impatient éditeur…
Grand commis de l'Etat, prix Goncourt 1988 pour " l'Exposition coloniale, Erik Orsenna nous fournit dans ce bref roman quelques trop courtes heures de joie totale, entre une nature somptueuse, un humour omniprésent, une pointe de délicat érotisme et un style chatoyant dont voici quelques exemples pris presque au hasard des pages :
« Les chats sont des mots à fourrure. Comme les mots, ils rôdent autour des humains sans jamais se laisser apprivoiser. Il est aussi difficile de laisser entrer un chat dans un panier, avant de prendre le train, que d'attraper dans sa mémoire le mot juste et le convaincre de prendre sa place sur la page blanche. Mots et chats appartiennent à la race des insaisissables. »
« De plus en plus souvent, en cette fin du deuxième été, Mme née Saint-Exupéry nous réunissait à dîner. Elle avait bien compris que le découragement, surtout après le passage de l'éditeur-adjoint, menaçait son équipe de phraseurs. « Quelle folie nous a pris, si maigres anglicistes, de nous affronter à la montagne Nabokov ? » Pour noyer ces petites voix mauvaises de la lucidité, rien ne valait le muscadet sur lie (domaine du Bois Malinge). Après deux, trois verres, la confiance nous revenait. Et dans l'odeur douce, presque sucrée, du chèvrefeuille, assis autour de la table de pierre sur laquelle s'éternisaient les carcasses déchiquetées des tourteaux, nous discutions jusqu'à plus d'heure de la langue française, de ses cadences, de ses échos, de sa retenue perpétuelle, de son amour impénitent pour l'abstraction, de cette grammaire si difficile à ébouriffer. Ada, notre fantasque Ada, avait-elle sa place dans ce jardin de lignes et d'ordre ? »
Erik Orsenna, Deux étés. pour déguster ce petit chef-d’oeuvre, n'attendez surtout pas l’été prochain...
Galère de la traduction et éloge des îles bretonnes 8 étoiles

Pour travailler pendant l'été, n'allez pas en Bretagne, car vous vous laisserez conquérir, et votre traduction de roman, au style tortueux, en plus du reste, n'avancera pas. Comme le titre le fait penser, il s'agit bien principalement d'un éloge touristique, dans lequel s'entremêle cette tâche ardue.
Cette quasi-ode au dilettantisme en Bretagne est agréable à lire, l'ouvrage est court et le style léché, bien que j'aurais aimé en savoir un peu plus sur l'exercice de traduction et les exigences éditoriales, certes décrites, mais de manière un tantinet trop allusive à mon goût.

Ce livre est vite lu et bien apprécié.

Veneziano - Paris - 46 ans - 1 septembre 2007