Le métier
de Virginia Woolf, Pierre Alechinsky (Dessin)

critiqué par JPGP, le 13 juillet 2023
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Virginia Woolf et la forêt des mots
Prendre des mots n'est pas forcément les saisir. Encore moins les posséder. Toucher. Ce sont d’abord des vestiges. Ou des états naissants. Ce qui revient au même. Car les mots sont fuyants. Certes « Les mots ne vivent pas dans les dictionnaires, ils vivent dans l’esprit ». Mais ils restent parfois rebelles ;. Si l’on en voulait la preuve, qu’on se souvienne combien de fois, aux instants d’émotion, on les cherche sans les trouver, quand on en a le plus besoin. »

Virginia Woolf prouve donc dans ce livre qu’on possède moins les mots qu’eux-mêmes nous possèdent : «  Il n’y a rien de plus sauvage, de plus libre, de plus irresponsable, de plus impossible à dresser que les mots. » L’auteure a illustré comment s’en approcher. Elle a su procéder par caresse, par pression. Elle sait combien les mots sont une peau, une paroi, une écorce, une mue mais aussi une connaissance. Tout dans ce texte le prouve dans sa dynamique.

Partant de la loi des mots qui les enjoint de s’échapper elle sait les rattraper : frottés aux parois de son crâne ils rendent ses circonvolutions visibles. Ils « montrent » et éclairent la pensée qui nous enveloppent. Ce sont donc par delà leurs classifications des empreintes organiques. Ils vont jusqu'à former un immense oignon où se superposent les gangues et les métamorphoses de l’écrivain comme de son lecteur.

Ce sont donc, par delà leur abstraction anonyme, des "aîtres" : ils sont ce qui nous habite et nous incorpore. La pensée ne se crée qu’en avançant dans leur magma, dans leur forêt.

Jean-Paul Gavard-Perret