Ecriture des silences
de Annie Préaux, Claude Laurent (Dessin)

critiqué par Débézed, le 14 juin 2023
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Comme un blanc sur la page
J’ai découvert Annie Préaux en lisant deux de ses romans parus chez M.E.O. : « Les beaux jours » et « Disparu d’un trait d’encre », c’est avec plaisir et curiosité que je la retrouve aujourd’hui dans ce recueil de poésie où elle accompagne des œuvres picturales de Claude Laurent.Claude évoque son travail et ce qui le guide, dans un court texte proposé à la fin du recueil : il n’a cessé « de se questionner sur l’être humain et son combat pour survivre là où il est, avec ses forces et ses faiblesses / Son travail relève de l’abstrait et du figuratif intimement mêlés… ». Dans une préface fort avisée Jean-Michel Aubevert précise que l’illustrateur « dit voir voulu, dans le sillage du recueil, se livrer à « un travail de déconstruction et de reconstruction ». A l’ombre de ces illustrations d’un camaïeu souvent chatoyant « L’autrice semble vouloir y esquisser un tremplin pour rebondir vers des horizons plus heureux… ».

Dans ce recueil, j’ai compris tout ce que l’auteure a voulu dire sur le non-dit, le silence, la cachotterie, l’impossibilité de dire… « Sa cendre incrustée / Dns l’écorce du papier / Trace les signes / Des choses qu’on ne dit pas ». Tout ce qu’elle pense « Des mots tus / Bouches cousues / … ». La page blanche de l’auteur, comme un espace ouvert, est une forme matérialisée du silence. « Zone blanche / Où les appels s’éloignent / Frontière invisible / Qui tranche / … ». Pour meubler ces silences, Annie propose de recourir à la musique, au chant, …, « Pourquoi ne pas chanter / au moins comme Bashung » ? Et, j’ai beaucoup aimé cette question qui a, elle aussi, éclairé, ma lecture : « Qui oserait écrire / Qu’il attend simplement / L’occasion de sourire » ?

En lisant ce recueil, j’ai aussi pensé à des lectures orientales, extrême-orientales même (je me suis souvenu de l’époque où je lisais souvent des livres japonais et coréens), j’ai trouvé dans les vers d’Annie des allusions mythologiques et une sensibilité propres à la culture de ces régions et des références à des lieux de cette partie du globe : Babylone, Hiroshima, …

Il y a aussi, à mon sens dans ce recueil une véritable angoisse de la page blanche. « J’aurais voulu trouver / Des mots qui enchanteraient // Ou feraient rire / Mais ils ne se sont pas montrés / Et j’ai tourné des pages vides / Toutes blanches / Comme des voiles / De navire ». Un recueil qui interroge, qui avoue certaines craintes, qui cherche des échappatoires à ces blancs dans le langage comme dans les écrits. Et surtout un livre très écrit dans une langue très élaborée comportant beaucoup de sensibilité.