Fées des sixties T1: Les Disparitions d'Imbolc
de Julie Maroh (Scénario), Giulio Macaione (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 18 mai 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
De la magie, de la pop, des ailes et des îles
Par son titre, « Fées des sixties » joue malicieusement sur l’ambiguïté du terme « fairy », qui en anglais signifie au sens premier « fée », et dans un langage familier, désigne les hommes efféminés, pour ne pas dire homosexuels. Pour réunir ces deux notions, quoique de mieux que le Swinging London des « Late Sixties », alors que le mouvement glam rock commençait à peine à éclore avec en chef de file David « Ziggy Stardust » Bowie, mi-homme mi-extra-terrestre maquillé comme un vaisseau spatial volé et capable de faire tourner les têtes, autant masculines que féminines. Une époque bénie où le champ des possibles semblait s’ouvrir à l’infini, avant de se fracasser sur la réalité des crises économiques successives.

Ainsi, ce premier volet titré « Les Disparitions d’Imbolc » nous projette dans une sorte d’uchronie où l’univers mythique d’Avalon (l’île légendaire où vivait la fée Morgane) interfère avec le monde « réel » à travers un portail invisible. Dans cette réalité parallèle, les hippies ont pris l’apparence d’elfes ailés, à l'allure plus ou moins androgyne. Leur présence croissante et leur hédonisme décomplexé inquiète la population londonienne. C’est dans ce contexte que la jeune Ailith va débarquer, alors qu’elle vient d’être embauchée par un grand journal pour enquêter sur une série de disparitions inexpliquées. Persuadée que les fées kidnappent les humains, comme elles l’ont fait pour sa mère elle-même mystérieusement disparue il y a plusieurs années, Ailith est résolue à faire toute la lumière sur le phénomène.

Jul Maroh, qui depuis « Le Bleu est une couleur chaude » refuse la binarité, ne s’est centré.e ici que sur le scénario, confiant les pinceaux à Giulio Macaione, dessinateur italien également multi-casquettes avec plusieurs albums à son actif. Depuis son premier album, on sait que Maroh s’intéresse particulièrement aux questions autour de l’identité sexuelle et des tabous sociétaux. « Fées des sixties » était pour ellui l’occasion rêvée de faire passer plusieurs messages à destination des « young adults », clairement la cible de cet ouvrage. Ce sont ici deux mondes qui s’opposent. D’un côté l’ancien, celui des normes patriarcales et des conventions sociales pesantes et étriquées, et le nouveau, celui de la magie, de la tolérance et de la célébration de la vie, jugé subversif par ses adversaires. L’héroïne elle-même, bien que très mal disposée envers les fées qu’elle accuse d’avoir kidnappé sa mère, va se trouver confrontée au machisme de ses nouveaux collègues en intégrant son poste de journaliste. De même, le flashback en guise d’introduction annonce la couleur assez vite, une couleur chaude comme il se doit, avec ce baiser enflammé de deux hommes sous l’ère victorienne…

Si l’univers des « Disparitions d’Imbolc » fait bien comprendre que le tant conspué « wokisme » de notre époque ne date pas d’hier, l’ouvrage recèle maints motifs d’être séduit, ne serait-ce que par le talent de Macaione. Certes, si son dessin donne une impression de déjà-vu, il n’en révèle pas moins chez son auteur une assurance et une finesse incontestable dans la description de cet univers au charme… féérique. Fabs Norcera quant à lui restitue bien l’ambiance colorée qui va de pair avec ces « insouciantes » années pop. Sur le plan du scénario, on pourra regretter ces petites imprécisions et autres ellipses qui peuvent parfois perdre un peu le lecteur.

Globalement, ce récit imprégné d’Héroic Fantasy moderne, sans dragons cracheurs de feu ni orques effrayants, dispose de nombreux atouts pour conquérir son public. On reste curieux de voir ce que donneront les prochains volumes, tous réalisés par des auteurs différents, un parti pris qui constitue assurément un des intérêts de cette nouvelle série axée sur l’inclusion et la visibilisation des minorités, conceptualisée par Gihef et Christian Lachenal.