Locataires et sous-locataires, une fiction
de Hella Serafia Haasse

critiqué par Sahkti, le 29 octobre 2004
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Une grande maison remplie de gens
Locataires et sous-locataires ou le récit d’une maison habitée par des personnages hétéroclites, dont le point commun est de vivre avec une douleur ou une frustration.
Cela commence avec Monsieur Dupleix. Responsable de la communication d’un haut fonctionnaire du Ministère néerlandais de la Culture, M. H.Mortgel, Dupleix rédige ses discours qu’il émaille de bonnes citations, ce qui lui vaut le respect et l’admiration de tous. Progressivement, il se voit calife à la place du calife et imagine mille et une stratégies pour remettre de l’ordre dans le pays, face à cette bande de dégénérés intellectuellement déficients qu’il faut gouverner. Cette tâche finit par accaparer tout son temps et son énergie, au détriment de son emploi, qu’il perd. Cependant, son directeur, reconnaissant des services rendus, lui propose le poste de gardien d’une maison, pour le compte d’un riche propriétaire retenu à l’étranger, maison dont il devra sous-louer les pièces selon ses affinités avec les candidats locataires qui se présenteront. Monsieur Dupleix a carte blanche et prend ce nouveau poste comme une promotion, se voyant dans le rôle d’un agent "Contrologue" chargé d’élaborer le plan qui remettra de l’ordre dans ce pays mais devant le faire à l’abri de tous. Sa femme Dora, une ancienne infirmière rencontrée lors de son séjour en maison de repos, est une personne charmante et effacée dont la vie s’oriente autour du ménage, des courses et de la tasse d’Ovomaltine qu’elle doit déposer à 23h chaque soir dans le bureau de son mari, qui se livre de son côté à de longues répétitions de discours académiques.
Arrive ensuite Lilian Cornette, une femme frustrée par son boulot de Secrétaire-Trésorière-Bonne à tout faire du Cercle de Lecture, une association huppée qui ne reconnaît son travail à sa juste valeur et qu’elle punit en fauchant régulièrement, et de plus en plus, dans la caisse. Délicieuse femme élégante et cultivée qui aménage un superbe appartement de bon goût, objet de tous les fantasmes de Dora Dupleix qui vient y passer quotidiennement et clandestinement quelques heures.
Se présente Walter, une jeune prof idéaliste qui décide de mobiliser la jeunesse pour faire la révolution. Laquelle, il n’en sait rien, mais révolution il veut faire et fera. Un prof suivi par une flopée d’étudiants contestataires qui se réunissent dans la véranda. Puis enfin Miss Graving, une étudiante amusante qui rédige un roman historique sur le culte de Bacchus à Rome. Hella Haasse nous offre d’ailleurs à ce sujet de très bons moments de culture-plaisir en nous parlant, références historiques à l’appui, de manière claire et précise de cette adoration pour Bacchus et de la répression qui eut lieu à Rome.
Ajoutons la présence de Dio, une jeune grec clandestin qui se planque dans les greniers de la villa et l’existence du Marcel, un truand qui utilise l’un et l’autre de manière très calculée depuis sa prison, sans que personne ne se doute de rien pendant les trois quart du récit et vous obtenez un panel coloré composant cette maison, au demeurant très agréable à vivre.

De complots en mesquineries, de mensonges en suppositions, c’est toute la vie de la demeure qui s’organise et Hella Haasse utilise à la perfection son talent pour nous transformer en spectateur voyeur à l’affût des moindres faits et gestes de la joyeuse troupe, nous permettant ainsi de découvrir les facettes de chacun au fil des pages tout en suivant attentivement la trame de l’histoire qui se déroule sous nos yeux. Car histoire il y a, une intrigue romanesque, une escroquerie de grande envergure avec, en arrière plan, la lente déchéance de Monsieur Dupleix qui à la fin de l’ouvrage n’est plus que l’ombre de lui-même.
A lire de préférence d’une traite, afin de rester dans l’ambiance du premier au dernier mot.