La jungle de Upton Sinclair

La jungle de Upton Sinclair
( The jungle)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Benoit, le 25 octobre 2004 (Rouen, Inscrit le 10 mai 2004, 43 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 282ème position).
Visites : 5 285  (depuis Novembre 2007)

L'enfer du capitalisme en général et des abattoirs en particulier

La Jungle, ce sont les abattoirs de Chicago au début du XX ème siècle. C’est l’époque du capitalisme sauvage où aucune loi ou presque ne régule le travail des ouvriers (le peu de lois existantes ne sont pas appliquées). C’est la course à la productivité et malheur à l’ouvrier qui ne peut pas suivre la cadence ou se blesse en voulant aller toujours plus vite : des centaines d’hommes affamés attendent à la porte de l’usine et sont prêts à remplacer l’ouvrier défaillant au pied levé.
C’est cet enfer déshumanisant où l’homme n’est plus qu’un outil facilement interchangeable que veut dénoncer Upton Sinclair (1878-1968). Pour cela, il va prendre en exemple une famille lituanienne, partie de son pays où la pauvreté règne et avec l’espoir d’une vie meilleure dans l’Eldorado américain. Elle débarque donc à Chicago, aux abattoirs de la ville plus précisément où la plupart des membres de la famille vont trouver un emploi. Pour eux, c’est une nouvelle vie qui commence, remplie de promesses. Grâce à leur travail, ils pourront s’acheter une maison, certains membres se marier et avoir des enfants... Cet optimisme est parfaitement illustré par Jurgis, l’homme fort de la famille, dont l’enthousiasme au travail contraste fortement avec le comportement de ses collègues, aigris, qui passent leur temps à maugréer sur leur sort et à traiter les patrons d’exploiteurs. Pour Jurgis, ce sont des rabat-joie et ils ne tient qu’à eux et à leur travail honnête de s’élever dans la hiérarchie.
Hélas, Jurgis va vite déchanter et se rendre rapidement compte combien ses collègues avaient raison et lui, tort. A partir de là, les mauvais coups vont pleuvoir sur la petite famille, ce qui permettra à l’auteur de mettre en lumière les côtés néfastes du capitalisme. Successivement, le père de Jurgis va mourir suite à son travail aux abattoirs qui se faisait dans un environnement mortifère (il patauge les pieds dans l’acide : les règles d’hygiène et de sécurité n’existaient pas à l’époque) ; Jurgis va se blesser au travail et ne pourra pas y retourner avant plusieurs semaines, privant ainsi la famille de son principal salaire (pas de travail, pas de salaire) ; le plus âgé des enfants (15 ans) devra quitter l’école et aller travailler aux abattoirs bien que cela soit interdit aux mineurs (les patrons ne sont pas trop regardants quant à l’âge des employés) ; la femme de Jurgis doit accepter les avances de son patron au risque de perdre son emploi ; et encore plus de malheurs, plus horribles les uns que les autres...
Au bout de trois ans de ce régime-là, Jurgis a complètement perdu ses illusions quant à son avenir : en faisant consciencieusement son travail, il terminera au mieux sa vie comme il l’a commencée, c’est-à-dire simple ouvrier. Et ceci, c’est seulement si aucun accident, aucune maladie ne l’oblige à arrêter son travail. Or, les accidents sont légion du fait du rythme de travail et les maladies sont très répandues, vu la misère dans laquelle ils vivent. Et ne comptez pas sur les patrons pour améliorer le sort de leurs ouvriers. Au contraire, en réduisant leur paie, en accélérant la cadence, ils mettent la vie de leurs travailleurs en danger.
Hélas, les ouvriers ne peuvent rien faire contre cela. En effet, Jurgis remarquera rapidement que cette “pourriture” ne s’arrête pas aux abattoirs mais a envahi l’ensemble de la sphère publique : tribunaux, hommes politiques, police travaillent main dans la main avec les patrons des abattoirs afin de perpétuer le même enfer.
C’est alors que Jurgis décide de prendre son avenir en main. Pour cela, il abandonne sa famille, va vivre un temps à la campagne où il retrouve le parfum de la liberté puis retourne à Chicago. Seulement là, il est bien décidé à ne pas se laisser avoir et la seule alternative à sa vie honnête d’autrefois qui l’a mené de malheur en malheur est une vie malhonnête. Il sera alors brigand des rues, homme de main d’un homme politique pour qui il fera les quatre cents coups afin de piper le jeu électoral,... Seulement, le crime ne paie pas longtemps et c’est la rechute : Jurgis redevient un exclus de la société. Il se retourne alors vers son ancienne famille mais son salut final viendra du communisme qu’il lui ouvrira les yeux sur la condition des ouvriers et lui présentera la solution à ce problème. Jurgis se sent renaître et se consacrera alors à répandre la parole communiste à travers tout Chicago...

L’intention d’Upton Sinclair est claire : montrer que le système capitaliste tend à broyer les hommes. Il existe alors deux issues : soit une vie malhonnête dans la société actuelle, soit le communisme qui bouleversera l’ensemble du système. La démonstration est certes peu subtile (même si Jurgis est loin d’être complètement une simple marionnette dans les mains des puissants patrons ; il a ses propres torts) mais elle a l’avantage de mettre en avant des faits réels, ce qui fait obligatoirement réfléchir le lecteur. Seulement, dans la description de la vie et des malheurs de la famille lituanienne, Upton Sinclair reste distant : il décrit juste leurs malheurs sans qu’il expose les sentiments des uns et des autres. Cela donne l’impression d’une succession de petites saynètes où nous sommes simples spectateurs. On perçoit le désarroi des personnages mais on ne le ressent pas, notre empathie envers eux est limitée. Bref, cela rappelle beaucoup le style journalistique, ce qui n’est pas étonnant puisqu’Upton Sinclair est avant tout journaliste (dans un journal... socialiste, comme vous l’aurez deviné). De plus, vu que les malheurs les plus graves se passent soit en hiver (parce qu’il fait très froid) soit en été (parce qu’il fait très chaud), l’auteur accélère parfois le temps, sans laisser le temps à ses personnages de mûrir. Enfin, au bout de quelques temps, le lecteur arrive à saturation au niveau des malheurs car, pendant une grande partie du livre, ce n’est que description de la mauvaise fortune de la petite famille. Et pratiquement tout leur arrive. Et en contrepartie, ils ne connaissent pratiquement aucun moment de bonheur. Certes, des familles ont connu le même genre de malheurs, voire pire, mais cette succession sans discontinuité de mauvais coups associée au style sans éclat de l’auteur laisse le lecteur de marbre au final.
Là où le style de l’auteur renforce par contre ses propos, c’est lorsqu’il dénonce la corruption des tribunaux, des hommes politiques et de la police. Là, la démonstration est implacable! D’ailleurs, c’est à ce niveau-là que ce livre eut un impact considérable sur le public et les pouvoirs publics. En effet, lorsqu’Upton Sinclair décrit le travail des ouvriers dans les abattoirs, il révèle par la même occasion le comportement peu reluisant des patrons des abattoirs. Ceux-ci, motivés uniquement par l’appât du gain, ne laissent aucune carcasse d’animal inutilisée, même si les règles les plus basiques d’hygiène interdisent leur utilisation. Un cochon est mort de la tuberculose? Sa carcasse, au lieu d’être mise à part, sera transformée en saucisse. Et tant pis pour les personnes qui mourront à cause de cette viande infectée. Les affaires sont les affaires. Une carcasse sent mauvais car elle a un peu trop traîné dans les hangars? En ajoutant quelques additifs chimiques, l’odeur disparaîtra et cela fera une excellente viande pour la saucisse. Une vache était morte à son arrivée aux abattoirs? Sa viande sera utilisée pour le corned-beef, etc... Upton Sinclair révèle encore bien plus d’agissements malsains des abattoirs. A la lecture de ses passages, le public fut indigné (il y a de quoi) et cela força le Président Roosevelt à prendre des mesures pour mieux encadrer l’industrie agro-alimentaire (c’est de là qu’est née la version moderne de la F.D.A., Food and Drug Administration). Bref, ce livre eut un gros impact aux USA même si ce n’était pas ce genre d’impact qu’escomptait l’auteur.

Finalement, lire La Jungle un siècle après sa publication (1906) nous apporte quelques contradictions. D’un côté, on a l’impression de lire un livre un peu vieillot, sur le thème de la lutte des classes et la solution pour que tout le monde soit heureux s’appelle le communisme. De l’autre côté, certaines descriptions de la condition ouvrière ont l’air de dater d’aujourd’hui : le travail des enfants, le travail près de dix-huit heures par jour, sans congé et sans repos pour Noël ou pour un mariage... Certes, cela ne concerne plus les Etats-Unis mais d’autres pays, en Asie plus particulièrement. Mais les employeurs sont toujours les mêmes... Et certaines pratiques de l’agro-alimentaire n’ont pas changé d’un iota (comme étiqueter un même produit de deux façons différentes : les prix seront différents mais le produit sera le même). Autres époques, mêmes moeurs...

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Le couteau et la chair

8 étoiles

Critique de Heyrike (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 56 ans) - 13 octobre 2013

Au début des années 1900, Jurgis et Ona, accompagnés par les membres de leurs familles, débarquent à Chicago après avoir fui l'infortune Lituanienne. Dans ce pays de cocagne où tout semble possible, pour qui veut bien travailler durement et servilement , ils espèrent trouver le salut, non pas tant la quête de la richesse mais simplement l'espoir d'un avenir meilleur.

Lorsque Jurgis découvre l'immense industrie qui engloutit chaque jour des milliers de bêtes envoyées à l'abattage et au conditionnement des carcasses sous toutes ses formes, destiné à garnir les échoppes de l'Amérique et d'ailleurs, il se sent transporté par un sentiment d'exaltation sans retenue. Jeune et dans la force de l'âge, il est convaincu de pouvoir assurer la subsistance de sa famille.

Le premier jour de son arrivée dans la compagnie Brown and Company, il s'attèle à la tâche avec une vigueur sans faille, tous ceux qui triment, halètent et suffoquent dans cette atmosphère épouvantable ne sont à ses yeux que des individus faibles et sans avenir. Demeurant sourd et aveugle à tout ce qui se passe autour de lui, Jurgis travaille comme une bête enchaînée à son labeur, uniquement concentré sur sa volonté féroce d'assurer l'avenir des siens.

Au début tout semble aller pour le mieux pour la famille de Jurgis qui parvient, malgré les difficultés liées à la langue anglaise qu'ils maîtrisent mal et à la différence culturelle (difficultés qui les confronteront à maints déboires), à entrevoir une chance de pouvoir s'installer dignement dans ce pays, notamment en faisant l'acquisition d'une maison.

Mais au fil du temps, il prend conscience que l'entreprise qui l'emploie n'a que pour seul objectif le profit maximum quitte à broyer des vies humaines. Dans ce monde de ténèbres, il n'existe aucun droit pour les travailleurs traités comme des esclaves. L'écorcheur de bidoche a moins d'importance que le bétail.

Le temps des petites espérances passées, les grandes désillusions surgissent les unes après les autres, entraînant Jurgis et sa famille de plus en plus brutalement vers l'antre infernal d'un système qui se nourrit de chair humaine.

A travers le destin tragique de Jurgis et de sa famille, l'auteur nous plonge dans les abîmes du capitalisme du début du XX siècle. Le travail d'abattage à la chaîne aux cadences infernales est un supplice effroyable pour les ouvriers qui tuent et dépècent les animaux, été comme hiver, dans l'atmosphère confinée et suffocante des ateliers remplis d'une odeur putride dégagée par la crasse qui imprègne les murs. Les accidents sont très fréquents, un coup de lame maladroit qui entaille une main et c'est l'infection, un chariot qui sort de sa trajectoire et c'est la mort. Pour peu que tous les membres d'une même famille, adultes et enfants, parviennent à trouver un travail, leurs maigres salaires leur permettent à peine de subvenir à leurs besoins élémentaires. Toute velléité de revendication est aussitôt réprimé par les employeurs qui n'hésitent pas à faire appel à la police entièrement dévolue à la puissance politico-financière de Chicago. La horde de chômeurs qui piétinent dans le froid glacial aux abords des abattoirs suffit en général à calmer la fièvre des plus ardents mouvements de contestations. D'ailleurs, toute tentative pour fonder un syndicat s'avère être un exercice périlleux.

Il y est aussi question du traitement abject des animaux amenés aux abattoirs et de toutes les pratiques non moins abjectes qui ont cours sur la chaîne de fabrication des denrées alimentaires. Les bêtes malades et les résidus en putréfaction de toutes sortes sont systématiquement reconditionnés et incorporés dans les matières premières. Les carcasses d'animaux impropres à la consommation retrouvent une seconde jeunesse grâce à l'injection de produits chimiques qui redonnent à la viande un semblant de fraîcheur. Les vétérinaires chargés par les autorités de veiller à l'hygiène sont en fait assujettis au trust de la viande.

L'auteur dénonce un système corrompu, obnubilé par l'appât du gain, chaque page de cet ouvrage contient son lot d'horreur sur la condition des ouvriers surexploités, devenus des bêtes de somme trimant sans cesse pour permettre aux maîtres viandards d'accumuler des richesses colossales. Tout cela nous renvoi vers les œuvres de Charles Dickens, Emile Zola et Victor Hugo qui ont dénoncé en leur temps les travers d'une société fondée sur la négation du genre humain pris en otage par une oligarchie capitaliste sans conscience ni moralité qui n'a de but que l'asservissement des masses laborieuses pour asseoir sa puissance et sa gloire, recréant ainsi un système féodal que la révolution populaire avait terrassé par le passé.

Un ultime message d'espoir est esquissé à la fin du récit sous les traits d'une société socialiste libératrice, brisant les chaînes de l'esclavage moderne. Mais un siècle plus tard, où en sommes nous ?

Chef d'oeuvre?

10 étoiles

Critique de Echo (Aquitaine, Inscrite le 25 avril 2013, 45 ans) - 13 mai 2013

Je vais oser classer ce livre dans la catégorie "chef d'oeuvre"! Deux parties dans ce livre:
- dans la première, la description de la vie d'immigrants débarquant au début du XXème siècle à Chicago découvrant la triste réalité du pays de l'Eldorado! Elle donne lieu à des descriptions hallucinantes des conditions effroyables de vie et de travail. Certes c'est sordide mais une retenue, presqu'une pudeur, permet de suivre les personnages auxquels on s'attache et d'absorber les "horreurs" décrites. De plus, par moments, cela fait tellement écho à notre époque qu'on en est soufflé!
- dans la deuxième, le héros se retrouve exclu de ce système, c'est l'occasion de découvrir d'autres aspects de la société ( de la paysannerie à la politique en passant par la police et la pègre). Là encore, un récit magistral et toujours des interrogations sur la réelle avancée de la société.
La chute se veut positive mais le recul que nous avons la rend moins crédible.
Un roman "coup de poing" certes mais de grande qualité qui permet de le comparer au Zola de Germinal ou de l'assommoir. A découvrir vraiment.

Plus ça change...

10 étoiles

Critique de Janiejones (Montmagny, Inscrite le 20 avril 2006, 38 ans) - 15 mai 2007

J'ai été soulevée par La Jungle, par cette rage anti-capitaliste. J'ai été révoltée par les conditions décrites des travailleurs des abattoirs. Ce livre a fait avancer les choses et Jack London en a dit le plus grand bien.

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