Turner Whistler Monet
de Katharine Lochnan

critiqué par Fee carabine, le 25 octobre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un autre regard sur l'impressionisme ?
Au fil de mes visites de musées - surtout français - et de mes lectures sur le sujet, je m'étais habituée à une vision selon laquelle le mouvement impressionniste s'inscrit dans la filiation des peintres paysagistes français, Corot, Courbet, Boudin... des peintres qui ont remis à l'honneur le travail "sur le motif", rendant ainsi possible la réflexion des peintres impressionnistes sur la lumière et ses variations selon le moment de la journée et les conditions météorologiques.

"Turner-Whistler-Monet" - en fait le catalogue d'une exposition qui s'est tenue cet été à la "Art Gallery of Ontario" à Toronto - propose une autre vision de l'émergence de l'impressionisme, complémentaire par rapport à la vision précédente et centrée sur les échanges culturels entre la France et l'Angleterre, une vision qui nous est proposée à travers l'oeuvre de trois peintres, un Anglais - Joseph Mallord William Turner (1775-1851), un Américain, qui passa la plus grande partie de sa vie en Europe - James McNeill Whistler (1834-1903), et un Français - Claude Monet (1840-1926).

Au commencement, il y eut l'oeuvre de Turner. Turner, qui admirait le travail du Lorrain: "Didon construisant Carthage", "L'embarquement de la reine de Saba"... (1er exemple d'échange entre la France et l'Angleterre). Turner qui aimait peindre les bords de la Tamise dans les environs de Londres, alors de plus en plus polluée - le brouillard, dense et jaune, noyant les contours et diffractant la lumière en une palette colorée. Turner qui aimait peindre les palais vénitiens, suspendus dans les brumes ou au contraire scintillant sous l'éclat du soleil d'Italie. Et puis, il y a le jeune James Whistler qui découvre l'oeuvre de Turner alors qu'il est encore adolescent, avant de même d'entamer ses études à l'Académie Militaire de West Point - ce qui m'a beaucoup étonnée - et de s'en faire renvoyer - ce qui est moins étonnant - puis à Paris où il se lia avec le peintre Fantin-Latour. James Whistler qui se prit lui aussi de passion pour les bords de la Tamise et pour les pierres de Venise. Et enfin, Claude Monet qui découvrit Londres et ses brouillards pendant un 1er séjour en 1870, et qui y revint en 1900 et 1901 pour y peindre ses fameuses séries londoniennes, les vues du Parlement, de Charing Cross Bridge et de Waterloo Bridge. Monet qui se rendit lui aussi à Venise à l'automne 1908 et qui y peignit des vues éclatantes des palais Dario et Contarini, et de San Giorgio Maggiore.

Au fil des pages de ce livre - au fil des salles de l'exposition, on voit s'esquisser un authentique dialogue entre ces trois peintres, dialogue dans l'influence de Turner sur ses deux benjamins, et dialogue entre Whistler et Monet qui devinrent d'excellents amis (une amitié qu'ils ont d'ailleurs partagée avec Mallarmé). Un dialogue aussi entre les différentes techniques utilisées, aquarelle et huile pour Turner, gravure et huile pour Whistler. Un dialogue qui nous amène à regarder des oeuvres "archi-connues" en y découvrant une résonance nouvelle.

Les reproductions sont superbes et l'on se promène entre les pages de ce livre comme dans les salles de l'exposition. Seul bémol à la clé de ce beau livre, il s'agit - comme de bien entendu compte tenu des circonstances - d'un ouvrage collectif, et il n'évite malheureusement pas les redites, en particulier concernant les relations tumultueuses entre James Whistler et John Ruskin, critique d'art, grand défenseur de l'oeuvre de Turner, peut-être un peu oublié aujourd'hui mais dont le nom sera sans doute familier aux lecteurs de Proust et aux amoureux de Venise. Des relations dont la tension a culminé au cours d'un procès en diffamation, intenté à Ruskin par un Whistler ulcéré de s'être entendu reprocher d'avoir jeté un seau de peinture à la tête du public, et surtout d'avoir exposé des oeuvres que Ruskin estimait inachevées. Si ce procès fait figure d'anecdote marquante dans l'histoire de l'art de cette époque, il n'en paraît pas moins futile au regard de la pure beauté des oeuvres montrées ici, les couleurs flamboyantes des toiles de Turner et de Monet, et les harmonies monochromes des Nocturnes de Whistler, dommage donc que le texte du catalogue lui consacre tant d'attention. Au final, ce "Turner-Whistler-Monet" est donc un beau souvenir d'une magnifique exposition, si pas vraiment un ouvrage de référence.