Le Boucher
de Alina Reyes

critiqué par Sahkti, le 21 octobre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
S'avilir pour grandir
"Le boucher avait la chair dans l'âme".

Est-ce l'imagination de cette vendeuse en boucherie? Les mots crus qu'elle entend sont-ils prononcés par le boucher avec lequel elle travaille? Et ce Daniel, son amoureux, ne serait-il que le fruit de son fantasme, ce rêve de toute jeune fille d'être follement aimée par un homme séduisant qui attire les regards de toutes les femmes sur lui?
Alina Reyes sème un tas de petits cailloux blancs, perles d'érotisme brut et de crudité verbale, laissant au lecteur le soin de créer les scènes et les ambiances dans un coin de sa tête.
La chair prend toute la place. Celle des corps. Celle de la viande. Mélange d'attirance et de dégoût, envie de toucher et de respirer, envie de s'éloigner en se pinçant le nez. Une fois de plus, Alina Reyes manie avec talent cette dualité qui existe en chacun de nous, ce mélange de rejet et d'envie que nous ressentons tous, cette curiosité non pas malsaine mais humaine pour le corps dans ce qu'il a de charnel et bestial.
Passages incessants entre la frénésie sexuelle (mélange d'érotisme et de pornographie) du boucher et la douceur poétique de ces lettres imaginaires qu'elle envoie à son fiancé Daniel et dans lesquelles elle crie toute sa frustration.
Comme dans "L'exclue", la reconnaissance et l'acceptation de ce désir animal passent par une forme d'avilissement. Symbolique d'abord, par l'oreille impuissante face aux murmures excités d'un boucher obsédé. Physique ensuite par le don de son corps devenu objet avide de sexe à des inconnus. Salvateur enfin par une renaissance passant obligatoirement par une déchéance corporelle offrant un salut à l'âme qui se libère d'un carcan social et moral.
C'est bien plus subtil que de la simple pornographie littéraire, il y a un véritable travail de libération de soi derrière ces lignes tourmentées d'Alina Reyes.
Je n'ai qu'un vague souvenir 6 étoiles

J'avais lu ce roman érotique à l'adolescence, en cachette car je ne voulais pas que ma mère me surprenne avec ce récit en main. Maintenant que j'y repense, je n'en garde qu'un vague souvenir lointain. Je me souviens du boucher qui était plutôt vulgaire, et que cette caissière ça la faisait fantasmer et c'est à peu près tout. Je me souviens aussi que le récit m'avait laissé sur ma faim. Il n'était pas mauvais en soi, mais il me faudrait peut-être le relire pour l'apprécier à sa juste valeur.

Windigo - Amos - 41 ans - 6 février 2016


Livre de chair 7 étoiles

Souvent, l'érotisme se donne des alibis, mythique, romantique, politique ou artistique. Il faut voir les toiles des peintres symbolistes à la fin du XIXème siècle, par exemple "la mort de Sardanapale" où des jeunes filles savamment dénudées se pâment devant le "supplice" qui les attend. Voilà un fantasme typiquement masculin. Alors que les choses sont bien différentes. Il y a même des femmes entretenant cette image, rêvant de pures jeunes personnes "souillées" par des "babares", qui parlent d'enfer ou de purgatoire pour ne pas entendre leurs voix intérieures qui les poussent à ne plus être terrorisées par ce qui n'est en somme que des préjugés sociaux.
Les pauvres hommes, pauvres mâles, voient les femmes comme de faibles créatures romantiques, des dames perdues en haut d'une tour que le preux chevalier vient délivrer après avoir terrassé un dragon. Le sexe, les fantasmes, y compris les plus crus, semblent réservés au genre masculin, qui les domine, pour se rassurer ou se justifier, pour se convaincre de sa propre virilité.
Dans ce livre, une toute jeune femme, menue, à la voix douce, rêve du boucher en bas de chez elle, un homme fruste, pas un poète. C'est elle qui tient les rênes de son imagination. Et son imagination est aussi crue qu'un quartier de viande à l'étal de son amant diront les pudibonds alors que ce livre érotique, au sens noble du terme, est beaucoup moins malsain que bien des divagations chichiteuses sur le sujet

AmauryWatremez - Evreux - 54 ans - 11 novembre 2011


L'appel de la chair 9 étoiles

J’ai lu ce roman à la fin de l’adolescence et je garde encore un souvenir très clair du style littéraire de l’auteure. Une écriture précise et brutale, un portrait du désir et de la perversité qui m’avait beaucoup impressionné. La viande et le sexe se mélangeait au coeur de cette union troublante pour nous confronter à l'animal qui sommeille en nous.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 54 ans - 22 octobre 2004