Par la main dans les Enfers - Joyeux animaux de la misère II
de Pierre Guyotat

critiqué par JPGP, le 22 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
L'absolu littéraire et littéral de Pierre Guyotat
Présenté par leur auteur comme « des jactances et des manifestations de celle ou celui qui veut prendre la place de l’autre », ce livre est le deuxième épisode de « Joyeux animaux de la misère ». En émane le même propos : une « science » de l’esprit et du corps (donc de l’homme), une forme de philosophie de l’histoire et sa « révolution » et le champ de bataille et dépendages des hommes. Ce qui pourrait se nommer « pornographique » ailleurs accentue la vision des limites, les teneurs des actes humains dont les relations causales sont bien différentes ce que la littérature établit le plus souvent derrière ses parapets et paravents. L’imaginaire donne une autre dimension à l’être qui dépasse celle du cœur ou de l’esprit, là où le corps accorde l’impulsion décisive.

Les déterminations changent de cap par le langage même. A ce titre le monde et sa sexualité peuvent paraître effrayants mais il y a là une nécessité de comprendre l’humanité actuelle et les millions d’être « qui vivent dans la crasse, au milieu des mouches, des rats, dans la prostitution, et la plus révoltante, la prostitution enfantine, comme on le voit en Asie et dans beaucoup d’autres pays, le nôtre compris ».

Guyotat transforme son livre en un assemblage d’une figuration cosmopolite en une unité de lieu (ce qu’il nomme une « mégalopole intercontinentale ») par un verbe sorti de la langue même des héros. Le texte devient une utopie et une réalité où l’auteur réalise une quintessence de la « viande » (Artaud) humaine. Un tel monde est scandaleux aux yeux de la morale (prostitution, inceste, inversions des sexes, sodomies, zoophilie…). Mais il est vécu par les protagonistes dans un état de totale innocence. Et l’auteur de se justifier (si besoin était) : « toutes les grandes découvertes se sont faites par l’imagination. Il y a quelque chose qui apparaît, qu’on saisit comme la mémoire d’un rêve et qu’on retient de toutes ses forces. Voilà comment de grandes choses ont été réalisées ». Guyotat capte l’élan sans chercher de voix médianes.

Jean-Paul Gavard-Perret

Critique du 27 mars 2023
Les "sanies" de Pierre Guyotat

Dans ce deuxième temps des « Joyeux animaux » Guyotat poursuit ses déferlements premiers il criait « ah mince il faut que j’y change de cri si le petit ventru me fait crier, que je m’y pense quand, sa paume à ma fesse, il m’entraîne au pieu, qu’il m’y bascule sur le dos… à peine il m’a déjà enfilée… ». Le courant de conscience est bien loin de celle de Joyce. Sa furie verbale semble repoussée au rayon des antiquités. Plus que jamais l’auteur répond à ce que Leiris pensait de lui : à savoir un auteur capable d’hallucinations à un degré exceptionnel. Il prouve ce qu’il advient du langage lorsqu’il rapproche la pensée du sexe.

Ses « sanies » font merveilles, elles agissent venant non assouvir la soif de sexe mais le porter dans une errance où les « chattes mâles » sont béantes. Héritier de Sade et de Genet, Guyotat éclaire sur les comportements « clandestins » de l’être. On peut le prendre comme un animal et le regarder comme un aliéné. Les sujets essentiels sortent du logos admis et l’auteur de s’emporter contre ce beau gars d’égout qui veut le quitter « pour la femelle (…) …une si jolie fraîche à seins que ça sent (…) le petit con frais palpite que tu descends ta lourde braguette y toucher la toison »

L’homme devient putain (mot masculin s’il en est chez Guyotat), à proximité des ports et des chantiers ou dans des restes d’immeuble où des êtres viennent pour divers « voyages ». « Salope » se transforme en mot sinon d’amour, du moins de tendresse dans un monde de raies, de chiens, et d’enfilade. En ses incantations le langage s’enfonce dans le corps esclave, joyeux, toujours en chasse.

Partout perce le théâtre intrinsèque de cette écriture-sperme jaillissant en  « Labyrinthe-Guéhenne ». Et ce, une fois de plus, dans l’attente de « Histoires de Samora Machel » œuvre annoncé il y a déjà plus de trois décennies et évoquée plus d’une fois dans « Coma » si cher à Chéreau. Pour l’heure le tome 2 des « Animaux » écrit dans « le présent de l’écriture » convoque en «  langue aisée  » le proféré transgressif. La parole ample est souffle et houle qui arrache tout sur son passage.

Jean-Paul Gavard-Perret