Le bout de la terre
de Yan Muckle

critiqué par Libris québécis, le 16 octobre 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Génération X
La génération X inspire de nombreux romanciers québécois de la trentaine, qui jettent un coup d’œil critique sur la décennie qu’ils ont traversée. Au fait, il s’agit d’un problème de maïeutique et de dialectique, vieux comme le monde. Les jeunes Platons n’ont plus de Socrates pour que leur esprit accouche d’une pensée qui les conduit vers la vérité. En cette absence de maîtres, les disciples potentiels se meurent d’angoisse devant l’incapacité d’assumer seuls leur quête de soi.

Dans ce roman de Yan Muckle, le jeune Alexis Soares est confronté à cette problématique qui, dans le pire des cas, pousse à des dérives mettant en péril la santé, voire même la vie quand l’aventure identitaire se termine par un suicide. Avec l’ardeur de son jeune âge, le héros se cherche désespérément une voie qu’il ne parvient pas à trouver, d’autant plus qu’il est l’enfant d’un couple défait, soit celui d’une musicienne portugaise vivant à New York et d’un père entomologiste vivant à Québec. Il croit qu’il se procurera une réelle identité en trouvant une substitution à l’échec de ses parents auprès de Pietro et Sarah. Amoureux de cette dernière il la suit à Montréal où elle vient terminer ses études. Ce n’est pas la solution car son instabilité lui refuse tout itinéraire. Devant ses tergiversations, la belle prétexte un voyage en Europe pour le quitter.

Quelle déception pour le héros! Jusque-là, il avait déployé tous les efforts possibles pour se donner des racines. Afin de se réaliser complètement, il avait même embrassé le métier de comédien. Il espérait que l’expression de son identité serait assurée par ce travail de création artistique, mais comme il est pris d’idéalisme, il ne peut que décliner les rôles parce qu’ils ne sont pas à la hauteur de ce qu’il croit être du grand art. Ayant cru trouver la solution au refoulement de son moi au sein de l’amour et d’un milieu créateur, il en conclut qu’il ne pourra la trouver qu’au « au bout de la terre ». Comme les jeunes qui, guitare au dos, bourlinguent à travers le monde pour combler le vide de leur existence, il part vers des cieux plus favorables à son émancipation. On fuit pour échapper aux contraintes de la vie comme dans On The Road de Kerouac ou pour trouver une culture supérieure comme dans Les Parias de Bruckner. Rarement, on trouve le mentor qui pointera la direction à suivre, sauf dans les œuvres de Guillaume Vigneault.

Ce roman de Yan Muckle pénètre magnifiquement la dynamique de la jeunesse perdue au milieu des bombardements de valeurs. Les hésitations devant les choix les amènent dans un ailleurs qui finira souvent par les engloutir. Avec simplicité, l’auteur fait le tour de cet univers que beaucoup d’écrivains ont fait après lui avec autant ou moins de succès. Au Québec, Christian Mistral, Patrick Brisebois et Julie Hivon ont brossé, eux aussi, des tableaux brillants des SIF, les sans identités fixes.