Lettres à un ami allemand
de Albert Camus

critiqué par Jules, le 13 mars 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un grand petit livre
Camus écrit dans sa préface qu’il ne faut tenir compte, en lisant son texte, de certains éléments.
Tout d’abord que ces lettres ont été écrites et publiées pendant la guerre, la première datant de 1943. Ensuite que quand il dit « vous », il ne parle pas des Allemands, mais bien des nazis et que quand il dit « nous », il ne parle pas des Français, mais des Européens libres. A défaut d'accepter cela, il estime que ces lettres n’auraient pas pu être republiées.
Dans sa première lettre, Camus reproche à « vous » d'aimer leur patrie par dessus tout et d’être prêts à n'importe quel sacrifice pour elle. Pour lui, « nous » voit l'amour de sa patrie tout autrement ! Il n’est pas question d'être prêt à tout. Il y a d’autres valeurs supérieures à la patrie, à commencer par l’homme. Faire la guerre, quand on n'a pensé qu’à ça n'est pas difficile. Il est par contre très difficile de la faire quand on place l’homme, le bonheur, ou d’autres notions plus humaines, au dessus de la guerre. C’est cette différence qui explique la défaite provisoire, mais elle se transformera en victoire parce que lutter pour des valeurs supérieures donne une force supérieure à celle de « vous ». Il dit : « .l'esprit ne peut rien contre l’épée, mais. l’esprit uni à l'épée est le vainqueur éternel de l’épée tirée pour elle-même. »
Dans sa seconde lettre, Camus insiste sur le fait que « nous » a été lent à se mettre en guerre parce qu'il voulait être certain d'être dans le bon droit. Mais cela fait, il ne pourra plus être vaincu. « Vous » se moque des mots et s’est engagé dans une voie « où l’intelligence a honte de l’intelligence. » Alors que « nous » sait que l’homme, et son bon droit, sera toujours supérieur au tyran et aux dieux, « il est la force de l'évidence ». Aujourd'hui, la lutte menée par « nous » est née de l'intelligence, mais est aussi du résultat d’une colère. La colère née de l'oppression, de l’exécution aveugle et brutale d'une élite : celle qui se révolte et est prête à donner sa vie pour une autre idée de l’homme. « Nous » a le bon droit, sera plus patient et finira par vaincre l’aveuglement.
La troisième lettre commence à évoquer l'Europe. Mais pas celle dont parlent les nazis, celle de la domination, du crime, de l'oppression stupide et des tyrans sanguinaires ! « …je sais que lorsque vous dites Europe… vous ne pouvez vous empêcher de penser à une cohorte de nations dociles menée par une Allemagne de seigneurs, vers un avenir fabuleux et ensanglanté ». Alors que pour « nous », elle est cette ancienne terre de culture et de l'esprit. « Nous » trouve sa tradition en défendant la culture du tout que représente l'Europe, « Don Quichotte comme Faust ». Camus ajoute que sur une telle base il est possible d’unir, pas sur une autre.
La quatrième lettre est une lettre de réconciliation sur de nouvelles bases. L'Europe a besoin de l’Allemagne comme de toute autre nation Européenne. Mais pour cela, l’Allemagne doit être délivrée de ses démons. Camus se refuse à donner au monde un sens supérieur, mais l’homme a un sens pour lui.
« Et il n’a pas d’autres raisons que l'homme et c’est celui-ci qu’il faut sauver si l’on veut sauver l'idée qu'on se fait de la vie. »
Je n'ai donné ici que des extraits des quatre lettres de Camus et il vaut vraiment la peine de les lire dans leur entièreté. Ce livre est très court, il ne compte que quatre-vingt et une pages, et l'effort n’est donc pas grand !
Contre tout fanatisme... 10 étoiles

Dans ce petit livre Camus illustre sa "théorie" de la révolte à travers l'explication des raisons de son engagement dans la résistance à l'occupant pendant la deuxième guerre mondiale.

Il démontre clairement que c'est un choix du type "entre deux maux je prend le moindre" et qu'il n'y a pas de gaieté dans un tel engagement, simplement la satisfaction profonde de répondre à une engagement moral vis à vis de l'Homme.

Au passage, il explique que ces mouvements de résistance sont "innés" dans l'humanité et dépassent tout gouvernement.

Ce ne sont que quelques-uns des thèmes abordés dans ce court ouvrage tout en finesse.

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 19 mai 2010


Une leçon d'humanisme 10 étoiles

Le bon sens et la raison désarment le pire barbare. Albert Camus explique aux Nazis, par une logique, apparemment simple, implacable, qu'ils ont abandonné leurs repères, au profit d'un amour devenu irrationnel et sanguinaire de leur Nation.
L'auteur prêche pour l'humanisme et le patrimoine commun de l'Europe, thèmes qui me sont chers.

C'est pourquoi cette lecture a, pour moi, été très forte. Au-delà de l'émotion, l'efficacité de l'argumentation verbale face à la violence bestiale ayant abandonné sa raison utilise les outils symétriques pour désarmer l'abject ennemi.

L'importance de ce texte est inversement proportionnelle à sa longueur. La concision du style le rend d'autant plus limpide et dense.

Veneziano - Paris - 46 ans - 31 janvier 2010


Visionnaire 10 étoiles

Un livre visionnaire qui annonce l'Europe unie.

Bételgeuse - - 45 ans - 10 décembre 2007


Une foi inébranlable dans l'homme 9 étoiles

Comme le dit bien Jules, l'effort n'est pas grand pour adhérer complètement à ce livre... si toutefois effort il devrait y avoir!
Au cours de ces quatre lettres, il m'a été quasiment impossible de détacher le livre de mes yeux: l'écriture est rigoureuse mais parfaitement claire et l'on suit sans peine le cheminement que fait Camus vis-à-vis du nazisme. Je ne prétends pas par là avoir décortiqué cette oeuvre en une seule lecture: j'applaudis seulement la grande précision et la clarté avec lesquelles chaque idée est exprimée.
Loin de l'analyse sèche ou de la harangue excessive, l'auteur allie à une conviction profonde un discours vibrant d'émotion sans prétentions (il s'adresse avant tout à un "ami") qui touche droit au coeur.
Je ne peux donc que vous inviter à vous réfugier dans un coin et à lire ce petit chef-d'oeuvre.

Eniotna - Savenay - 36 ans - 18 août 2004