Astachev à Paris
de Nina Nikolaevna Berberova

critiqué par Sahkti, le 23 septembre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Affreux personnage
Haaa la plume de Nina Berberova! Chacun de ses textes me surprend et me séduit. Me surprend par sa rigueur et son canevas bien tissé, son apparence rangée, comme un scénario esquissé avec soin dont il conviendrait de respecter chaque scène, toutes ayant leur importance incontournable. Me séduit par le côté humain qui se dégage de ces apparences ordonnées, de ces âmes qui se dessinent et évoluent sous nos yeux. La Russie dans ce qu'elle a de bouillonnant et d'austère, subtil mélange qui offre une littérature ô combien étonnante.

Astachev est un jeune homme intelligent et scolairement assidu qui a deux mamans, une biologique et une belle-mère. Si la première est un peu terne et vit de manière misérable, la seconde (celle qui a détourné le père et son argent) est jolie, pétulante et quelque peu excentrique. Pas étonnant dès lors qu'Astachev aime à se perdre dans ses jupons, de manière platonique certes, mais complètement admirative.
On suit ainsi au fil des pages l'évolution de ce jeune homme qui renie de plus en plus ses origines russes au profit de la culture française à laquelle il s'identifie totalement. Quittant une mère pour en retrouver une autre, Astachev nous paraît aux premiers abords attachant et honnête, le gendre idéal. Peu à peu, on lui découvre quelques défauts mais même lorsqu'il devient vendeur d'assurances contre la mort, il reste en lui un certain charme et une naïveté qui empêchent de le détester de manière trop franche. Arrive alors sa courte idylle avec une innoncente caissière de cinéma, un drame et là, rupture totale, l'affreux personnage révèle sa vraie nature, on a presque envie de le tuer tant il est odieux.

Beau travail de Nina Berberova qui promène son lecteur en douceur, lui glissant de ci de là quelques indices sans pour autant l'aiguiller de manière directe, avant de lui asséner le coup final et assez dérangeant: le sympathique Astachev n'est qu'une ordure! Et il n'est pas fréquent que Nina Berberova donne ainsi le premier rôle à un type aussi vil. Elle préfère d'habitude des êtres résignés et courageux, exilés russes affrontant la misère avec beaucoup de dignité. Tout le contraire d'Astachev.
A signaler au passage de succulents passages relatifs à la profession d'Astachev, une caricature vivante qui vend des assurances à de pauvres pigeons leur assurant fortune et tranquilité après leur mort, celle-ci étant inévitable et devant être préparée.
Un récit qui ne vieillit pas ! 8 étoiles

La critique de Sakhti est remarquable et j'en confirme tous les points. Ce court roman séduit le lecteur malgré le pessimisme dont il est empreint. Nina Berberova a voulu surtout, à mon avis, stigmatiser le comportement aberrant de certains de ses compatriotes russes émigrés à Paris ; elle ne les rend pas sympathiques, même si nous comprenons leurs difficultés à s'insérer dans un milieu relativement fermé et égoïste.

On pense naturellement à Tchékov

Tanneguy - Paris - 84 ans - 5 novembre 2011