Dans le musée de Reims
de Daniele Del Giudice

critiqué par Kinbote, le 17 septembre 2004
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
A perte de vue
« Quand j’ai su que je deviendrais aveugle, j’ai commencé à aimer la peinture. »
Formidable incipit pour ce récit (dont il aura fallu attendre 15 ans la traduction française, par Jean-Paul Manganaro) contant le périple de Barnaba, "un grand jeune homme italien aux cheveux noirs frisés", qui part à la recherche du Marat assassiné de David dans le musée de Reims. Dès la phrase suivante, le narrateur nuance son amour de la peinture...
Aime-t-on la peinture quand on dit aimer la peinture, ou est ce plutôt son idée qu’on aime, ou autre chose qu’elle nous évoque ? Cette cécité qui menace Barnaba est une métaphore du profane en peinture, cet objet de fascination plus que d’amour? Nous sommes tous devant la chose peinte comme Barnaba, comme des presque aveugles qui voudraient bien en comprendre le sens, nous dit en quelque sorte l’auteur du Stade de Wimbledon.
Barnaba, dans sa quête, reçoit l’aide d’une providentielle jeune femme qui lui raconte les toiles plus qu’elle ne les lui décrit avec précision. Elle ment mais ses mensonges recèlent une vérité, une bienveillance à l’égard de Barnaba qui le touche. Comme si ce qu’on racontait à propos des tableaux figuratifs n’avait pas d’importance pour autant qu’on en dise, qu’elles nous disent quelque chose.
« Quelle importance cela peut-il avoir si je me souviens de ces tableaux tels qu’ils sont, ou comme j’ai essayé de les voir, ou comme elle me les a décrits ? »

Le premier jour de sa visite, Barnaba ne voit pas le tableau de David. Il retournera le lendemain mais sans le concours d’Anne. En fait, Anne est venue quand même mais c’est lui qui parle cette fois et qui raconte le tableau. S’il s’est intéressé au révolutionnaire, c’est parce que Marat fut un grand scientifique de son temps et un médecin spécialisé dans le traitement des troubles de la vision. Au fil de sa maladie, Barnaba s’est identifié à Marat. Quoi de plus normal alors qu’avant de perdre la vue, il ait tenu à le voir tel qu’il fut peint.

Evoquant sa future cécité, Barnaba déclare : « Il me manquera certains bleus, et certains rouges à perte de vue, il me manquera la perte de vue, et le sentiment d’espace et de sécurité et de quiétude que donne la perte de vue. »
Conserver à tout prix les images 9 étoiles

"... l'émotion a été totale, l'émoi a été immédiat, c'étaient des tableaux qui allaient vers l'extérieur, qui vous embrassaient, qui vous emmenaient à l'intérieur."

"Dans le Musée de Reims" est une belle histoire d’amour.
Amour entre un homme et l’art, un homme qui perd la vue et décide d’imprimer une dernière fois dans ses souvenirs les images des toiles qu’il aime.
Amour entre une femme et un homme, la première décidant d’aider le second, quitte à lui mentir un peu en décrivant les tableaux qu’il veut admirer une dernière fois.
La démarche de Barnaba, presque aveugle, est touchante et porteuse, on a envie de l’aider, de lui raconter la peinture, de lui décrire avec beaucoup de précisions ce tableau de David, "Marat assassiné", qui le fascine tant. Barnaba peut deviner les couleurs et les ombres en s’approchant du tableau, il a besoin qu’on lui raconte tout le reste. L’occasion pour nous de découvrir ou revoir ce célèbre tableau de David exposé dans une salle du musée de Reims (un autre est exposé à Bruxelles). Marat qui fut révolutionnaire mais également médecin, spécialiste des yeux et de la cécité. Une profession qui ne peut qu’interpeller Barnaba.
Puis il y a Anne, une jeune femme qui veut l’aider mais qui ment, de manière maladive, troubles psychiques dont elle ne peut se défaire et qui finissent par intriguer Barnaba, ne comprenant pas l’intérêt de lui mentir. Anne sait qu’il devient aveugle, pourquoi travestir la vérité picturale au lieu de lui restituer intacte avant le grand départ de ses yeux ? Mais Barnaba s’attache à Anne et si il décide de l’aimer, il devra accepter ses mensonges. Est-ce surmontable ? Anne enjolive la réalité, elle rend la peinture belle et c’est finalement ce que souhaite Barnaba, apprendre à aimer la peinture avant de ne plus la voir.

Merveilleux dialogues entre un homme au crépuscule de sa vision et une femme qui décide de lui offrir des souvenirs impérissables. J’ai beaucoup aimé cette manière de rendre la peinture vivante, de l’animer par des mots. Parallèle avec des activités personnelles menées en compagnie de jeunes enfants manipulant les matières les yeux fermés et faisant part de leurs impressions. Je me suis souvent posé la question de savoir comment un aveugle pouvait percevoir les couleurs, les imaginer. Dans le cas présent, Barnaba n’est pas aveugle de naissance, il possède de solides repères, cela ne répond donc pas vraiment à ma question.
Daniele Del Giudice écrit dans un langage poétique et romantique tout en douceur, cela ne peut que provoquer l’attachement à ses personnages et à son histoire. Une lecture très agréable.

Sahkti - Genève - 50 ans - 23 septembre 2004