Les Étoiles de la faim de Christine Lavant

Les Étoiles de la faim de Christine Lavant

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Septularisen, le 23 août 2021 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 8 étoiles
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«Et, dans une inhabituelle maigreur, la lune va tendrement vers le petit pâturage aux étoiles.»

«Comme il est exact, le désespoir!»

Comme il est exact, le désespoir!
A la même heure jour après jour
il apparaît sans ruse aucune
et me châtie d’un coup.

Des étincelles volent autour de moi,
mon cœur appelle tous les anges,
mais le ciel est une mer
et Jésus dérive dans une barque
très loin à l’autre bout du monde,
où sont tous ceux qui aident,
et mon dernier espoir aboie
sur le rivage, à contre-vent.

Je sens alors que personne ne m’entend,
je ramasse en silence les étincelles,
mon cœur – qui me conjure en crépitant –
lentement se transforme en une pierre à feu.

Christine LAVANT (1915 – 1973, de son vrai nom Christine HABERNIG, née THONHAUSER), est un vrai paradoxe. Couverte de gloire et de prix littéraires dans son pays natal, elle ne réussira jamais à «faire passer» les frontières à sa poésie, et de fait elle est quasiment inconnue en France, où l’on sait très peu de choses d'elle et de sa poésie. Ayant souffert toute sa vie de graves problèmes de santé, (elle en conservera d’ailleurs toute sa vie de graves séquelles physiques et psychologiques), elle se tourne alors vers l’écriture et plus particulièrement la poésie.

L’amour, la mort, la nature sont les thèmes privilégiés de la première période créatrice de Christine LAVANT. Ses premiers recueils se rattachent à la tradition romantique allemande, notamment Georg TRAKL (1887 – 1914), et Rainer Maria RILKE (1875 – 1926) (1).

«Bien trop tôt s'est brisé en moi le savoir.
Soulevée par la pauvreté,
je suis sortie nue de toute la pénombre
d'une douce enfance»

(«L'Amour inaccompli», 1949)

Le recueil «Les Étoiles de la faim», regroupe quant à lui, une sélection de poèmes des trois livres de la maturité de la poétesse, à savoir : «La coupelle du Mendiant» (1956) ; «Fuseau dans la Lune » (1959) ; «Le Cri du Paon» (1962). L’auteure se tourne vers une poésie très «spirituelle», tournée vers Dieu. Beaucoup de ses poèmes lui sont donc directement adressés. Un Dieu qu’elle estime lointain et absent et dont elle demande l’écoute et le retour… Sa poésie n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de la polonaise Wislawa SZYMBORSKA (1923 – 2012) (2) ou de l’américaine Louise GLÜCK (*1943) (3).

Le spectacle de la nature et la contemplation s’effacent au profit d’une empathie active. Dans les plantes, le poète ne recherche plus tant la beauté des formes que l’efficacité des vertus. Elle expose le cœur de l’homme au feu de Dieu. Si Dieu se permet de châtier son peuple, pourquoi le poète ne se révolterait-il pas contre la seule autorité qu’il reconnaisse?

«Celui qui viendrait encore me tenter avec un Dieu de récompense,
la vengeance de Dieu le récompensera.»

Certains poèmes sont pleins de plaintes et de colère d’autres sont des cris de solitude, superbes et terribles.

«Écoutez, écoutez! Et ne comprenez pas!
Voyez et ne saisissez pas!»

Il ne s'agit pas tant ici de l'exposition du cœur de l'homme au «feu de Dieu», que de sa capacité à le reprendre aux flammes:

«C'est l'épreuve du feu que tu t'imposes:
Je dois retirer mon cœur des flammes.
(...)
Ah si tu pouvais, le miracle
dût-il même se produire,
m'ordonner de partir!
Faut-il que tu m'éprouves! Vois: je me défie
d'arracher ce bloc lourd au brasier»

(«L'Épreuve du Feu, in La Coupelle du Mendiant», 1959)

Les combinaisons métaphoriques de Christine LAVANT ne sont pas sans rappeler celles d’Emily DICKINSON (1830 – 1886) (4), qui comme elle passa quasiment toute sa vie recluse, et sa poésie celle du français PAUL CÉLAN (1920 – 1970) (5). La parataxe et l’ellipse abondent dans les vers de LAVANT. Sa prosodie affectionne le heurt et le saut:

«Tu as d’insondables motifs
Qui s’étendent du Ciel jusqu’à la Terre,
et c’est là que tu pais nos destins,
et c’est là que tu formes nos noms
sur une flûte de cristal
au son unique et sans motif :
Faute! Faute originelle!»

(«La Coupelle du Mendiant»,1956).

Voilà, pas besoin d'en dire plus... Comme toujours je m'efface et laisse maintenant la parole au poète et au lecteur de juger l’exigence spirituelle et la beauté du langage...

«Étrangère dans le cœur de la nuit»

Étrangère dans le cœur de la nuit,
sèche comme poussière sous la pluie,
je me précipite en colère à la rencontre du vent
qui me rend épileptique,
me dérobe aussi le souffle
et juste devant mon front effeuille le saule
dont l’amertume à si fort goût de chez-soi.
Malédiction! Qui a tendu mes bras
vers un toit, une joue, un oreiller ?
Qu’est-ce qui m’a plongée dans le cœur de la nuit
m’arrachant à la chaise de mort, à la lumière des pécheurs
avec une voix de puits, un visage d’argent
sous des sourcils qui secrètement se dérobent?
Qu’est-ce qui m’étrangle et m’empêche d’avaler?
Qui ai-je suivi, sans y voir mélancolie,
sous le fouet de la pluie jusqu’au milieu de la nuit,
sans bougie ni chapelet ni bénédiction de fontaine sacrée?
Qui m’a donc poussée de nouveau à la rencontre du vent du Sud
et du goût amer des saules sans toit?
Pour qui mon corps est-il blotti contre les racines
et mon cœur une vipère qui mue et se convulse
dans la forêt mortelle des plus solitaires souffrances?

(«Le Cri du Paon», 1962).

(1) : Cf. ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/2097
(2) : Cf. ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/29715
(3) : Cf. ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/60507
(4) : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vauteur/…
(5) : Cf. ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/4564

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