Funériales
de Gérard Blua

critiqué par Eric Eliès, le 25 juillet 2021
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Célébrations du rêve, des mots et de la rencontre avec l'autre
Editeur (il créa et dirigea les éditions « Autres temps », établies à Marseille), Gérard Blua n’a cessé d’écrire depuis les années 70, dans différents genres littéraires : essais, théâtre, etc. mais il est aussi un poète reconnu, dont l’œuvre jalonne les dernières décennies et que j’ai découverte via son recueil « Amniotiques », petite plaquette d’une grande intensité où il affronte la mort brutale puis l’absence du père.
« Funériales », dont le sous-titre « Poétique du bout de la vie » semble indiquer la volonté de ne pas subir et de transcender la vieillesse et la mort, est d’une autre inspiration et prolonge le versant engagé, et parfois presque polémiste, de Gérard Blua, qui milite ardemment pour défendre sa vision de la société, ancrée sur des valeurs humanistes et de citoyenneté républicaine, et sa conception de l’art, exigeante et attachée à un héritage culturel. Il a ainsi clamé son opposition à ce que la langue française, dont les singularités sont autant de richesses qui constituent le fruit d’une histoire, puisse être transformée sous la pression de quelques universitaires et lobbyistes (écriture inclusive, anglicismes, etc.). Formé aux humanités et intimement convaincu que le modèle français du vivre-ensemble est gravement menacé et doit être défendu, il a d’ailleurs écrit, avec une ferveur mêlée d’inquiétude et même de colère (une colère qui n’a rien de nationaliste mais me semble refléter l’amertume et le désarroi de l’ancien petits-fils d’immigrés qui mesure l’écart, sans cesse croissant et cruel comme une trahison, entre la société telle qu’elle est et l'idéal – parce que la France incarne un modèle de civilisation - auquel ses parents et grands-parents ont cru), plusieurs essais pour dénoncer les dérives provoquées par l’individualisme, le libéralisme et par le communautarisme, qui lui semblent saper les fondements et les valeurs de la société française. Ainsi, le recueil s’ouvre par le constat d’une société déshumanisée, indifférente à la fermeture d’un théâtre et à l’étouffement de la parole artistique :

Pour Richard Martin

C’était un jour comme les autres
Un jour de foule aveugle
Un jour de système qui va
Dans les couloirs de Panurge
Un jour d’incommunicabilité
Et de têtes courbées
Dans leurs mangeoires
Un jour de grève de ta fin
Simplement
Un théâtre avait disparu
(…)
Il est des systèmes qui tuent
D’autres qui regardent mourir
Toi, de ton talent, de ta carrière
Et du marbre de ton verbe
Tu témoigneras de cette différence
De toute l’éternité de ta présence.

Tous les poèmes du recueil (28 poèmes dédiés à des proches ou des amis lointains) sont conçus sur le même modèle, comme des témoignages ou des hommages en courts vers libres, où le « tu » est parfois explicite, parfois implicite. Cette poésie est souvent discursive, parce qu’elle porte et énonce clairement une réflexion ou une idée à tel point que, même poétisée par l’image, la strophe semble parfois, dans sa correction grammaticale, une phrase d’énonciation découpée par la versification, comme par exemple cette strophe qui me paraît davantage s’apparenter à la prose poétique (telle celle de René Char) qu’à la poésie versifiée :

Les songes de la vie / Bâtissent dans le sable / L’espoir d’éternité / Qui guide toute force / Et réunit les rêves / En colliers d’avenir / Qui jamais n’éclora / Dans le cheminement / des ombres

Ce mince recueil est divisé en 4 parties égales intitulées « Hier / Aujourd’hui / Demain / Toujours ». Cette composition est mystérieuse car les poèmes des différentes sections sont tous portés par les mêmes élans sans souci de démêler ce qui fut, ce qui est et ce qui sera ou pourra être. Il n’y a pas – ou très peu – d’anecdotes qui permettent au lecteur (sauf peut-être l'identité du dédicataire) de situer le poème dans le fil d’une vie, de le dater dans le flux des années où passé-présent-futur sont intrinsèquement liés par le souvenir et par le vouloir. Peut-être est-ce le sens caché de cette composition : faire ressentir au lecteur que notre conception du temps n’est qu’une représentation trompeuse, que le passé-présent-futur ne forme qu’une seule entité (ce qu'exprime aussi la préface évoquant une "simultanéité"), qu’une seule matière trompeuse dont le flux apparent nous cache l’essentiel : le « Toujours », qui clôt le recueil et résonne comme un écho de la mort implicitement présente dans le titre. Pourtant, c’est bien dans la vie, intensément vécue, dans le « volcan du vivre », que Gérard Blua, à plusieurs reprises, effleure l’Eternité, en cherche les traces et les reflets.

L’Histoire attend depuis / Qu’un voile se soulève / Porteur des vérités / Qui supportent le monde / Dans les ombres des heures / Fleuries d’éternité / …

***

Un jour viendra / … / Un jour d’il y a longtemps / Avec son lourd bagage / De mort et d’espérance / Qui marque désormais / Les heures inutiles

La poésie de Gérard Blua, qui a étudié la philosophie, pouvait de prime abord paraître excessivement cérébrale dans sa volonté de dire et d’énoncer sa pensée (et, dans sa postface, Carmen Mihai déclare avec justesse "Si pour Gérard Blua l'écriture est la marque de la respiration, c'est à mon sens l'idée qui demeure son oxygène") mais elle s'avère en fait écrite à fleur d'émotion, portée par le désir d’accéder à une inaccessible atemporalité où l’Etre s’épanouirait, en pleine vie, dans la plénitude de sa vérité. Malgré ses aspérités, cette poésie est émouvante car elle est pétrie d’espoir. Ce recueil, dont le titre et le sous-titre semblaient évoquer le deuil, m’apparaît comme un long poème en 28 sections pour célébrer tout ce qui permet d’épanouir l’Etre au-delà des limites assignées par notre naissance d’être mortel : la puissance du rêve (source de visions lumineuses et d'envie d'étreindre le monde et ses possibles), le pouvoir de la langue et des mots (qui peut exaucer le rêve par "l'alphabet palette" et que peut exalter la parole), et la beauté de la rencontre avec l’autre (qui scelle la fraternité dans le partage du rêve ou de la parole échangée), incarnée par le geste d'amitié aux dédicataires des poèmes :

Pour Anne-Marie Casalta

Les songes parfois se réveillent
Et au miroir des âmes
Se découvrent
Leur vérité

C’est là l’extraordinaire
La sublime inclusion
Du verbe dans l’espoir
Conjugué au futur
L’inespérée présence
De la stricte parole
Dans les gestes offerts
L’invention qui relie
Le quotidien au rêve
Et le frémissement
Qui créé dans le voulu
Le décor des attentes
Enfin réalisées
La foison des trouvailles
Les bouquets merveilleux
De traces du passage
Qui survivra aux heures
Et sculptera sans fin
Un ultime sourire

Les songes parfois se réveillent
Ils appellent alentour
Les présences complices
Qui bâtissent une vie