Dragman de Steven Appleby

Dragman de Steven Appleby

Catégorie(s) : Bande dessinée => Aventures, policiers et thrillers , Bande dessinée => Humour

Critiqué par Blue Boy, le 3 mai 2021 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
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Une robe qui fait pousser des ailes

Dès qu’il enfile des vêtements féminins, Auguste Crimp a le pouvoir de voler. August Crimp devient alors Dragman ! Avec son amie Dog Girl, qui, elle, peut se transformer en chien d’attaque et possède un odorat extraordinaire, ils patrouillent le ciel pour secourir les femmes victimes d’agression. Ce don les amène à enquêter sur un redoutable tueur en série dont la spécialité est d’assassiner des travestis. Seul problème : Auguste Crimp est marié et doit cacher sa double vie à sa femme Mary…

S’il est difficile de résumer cette œuvre atypique, la couverture pourrait très bien le faire à elle seule. Sur la pointe du désormais emblématique gratte-ciel londonien, le Shard, une silhouette féminine se tient debout, face au vent. Cette silhouette à la fois frêle et élancée, on l’apprendra très vite, est celle d’un travesti, double de l’auteur, dotée de superpouvoirs Ainsi, la couverture est en quelque sorte le miroir inversé un peu ironique, de par son dessin « imparfait », des superhéros musclés d’outre-Atlantique pavoisant sur l’Empire State Building.

Bien qu’il s’en défende en postface, c’est bien Steven Appleby qui se raconte dans cette histoire, dont les premiers mots sont ceux d’un conte de fées : « Once upon a time ». Certes, il n’a pas le pouvoir de voler mais comme August Crimp, il adore porter des vêtements de femme, même si à l’inverse du héros, il lui fallut beaucoup de temps pour « se sentir à l’aise avec l’idée d’être un travesti ». D’ailleurs, dans le récit, le jeune papa mettra un certain temps avant de révéler sa double vie à son épouse, ce qui ne se fera pas sans psychodrame… Il faudrait donc plutôt voir Dragman (le personnage) comme une sorte de super-fée trans des temps modernes, le double idéalisé qu’il aurait peut-être rêvé d’être, celui qui chasse les trafiquants d’âmes pour les rendre à leur propriétaire, dans un monde qui en manque cruellement. Steven Appleby exprime à travers cette amusante parabole son désarroi de voir comment la perte d’âme, un bien comme un autre qui s’achète et se vend, transforme les personnages du récit en robots décervelés uniquement préoccupés par l’appât du gain, indifférents au sort d’autrui. Un pur cauchemar capitaliste qui n’est pas forcément si éloigné de notre réalité contemporaine.

« Dragman » raconte aussi la solitude que l’on peut éprouver quand on naît fille dans un corps de garçon. Le livre parle de ces êtres ignorés ou subissant la risée de la meute, avec deux alternatives possibles : se cacher pour vivre leurs aspirations ou se comporter en bête de foire dans des clubs privés pour exister. Et le jour où un tueur les laissera dans le caniveau, cela n’inquiétera pas grand monde, ces « pervers » l’avaient bien mérité après tout… Tout cela Steven Appelby le raconte sans haine et sans acrimonie, préférant la poésie et l’humour, sans doute pour apaiser ses blessures intérieures.

Quant au récit en lui-même, il peut déconcerter à naviguer entre gravité et légèreté. La partie dessinée, qui décrit un univers fantaisiste, alterne avec des textes courts marquant chaque début de chapitre, dans une tonalité évoquant une sorte de thriller glauque empreint de poésie. On peut même avoir un peu de mal à rentrer dans l’histoire avant d’en comprendre les rouages. L’esprit de « Dragman », c’est cela. Un récit en forme d’exutoire, sympathique mais bavard, au scénario touffu et un peu foutraque, qui révèle chez son auteur un besoin profond d’exprimer des choses, ce que l’on comprendra aisément. Mais encore une fois, Appleby évite de plomber l’ambiance et choisit la distanciation fictionnelle pour mieux se raconter, avec un humour à la fois naïf et tendre, discrètement « british » (aucune allusion sexuelle mal placée ici)…

Sur le plan du dessin, l’auteur anglais n’est pas vraiment un nouveau venu puisqu’il produit depuis les années 80 des comics trips pour de très nombreux journaux et magazines, dont le Times, le Guardian ou encore le New Musical Express. Au-delà de ses pattes de mouche et son trait faussement maladroit, Steven Appleby possède un vrai style très reconnaissable, et on apprécie particulièrement les pleines pages représentant des décors ou des paysages tellement… « so british »…

Globalement, malgré les quelques réserves émises plus haut, « Dragman » est une lecture sympathique révélant un univers très original. Avec le message distillé par le livre — « soyez vous-même et ne renoncez pas à votre âme » —, Appleby nous sert peut-être une lapalissade, mais qui prend une dimension plus prégnante quand comme lui on est à ce point éloigné des normes sociales. Aujourd’hui, à plus de 65 ans, Sir Appleby semble parfaitement en paix avec lui-même, ne cherchant même pas à revendiquer une étiquette quelconque. Père de deux enfants, il continue à se vêtir en femme et, de plus, a conservé son prénom masculin (comme quoi…). Cette année, Appleby a reçu pour « Dragman » une distinction à Angoulême. Parce que sans doute, il le vaut bien ;-)

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