Les 9 vies d'Ezio
de Jean-Marie Darmian

critiqué par CHALOT, le 2 avril 2021
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
épopée héroïque d'une grande actualité
Les 9 vies d'Ezio
Roman de Jean-Marie Darmian
201 pages
octobre 2020
AMH communication
Une vie et une force hors du commun

C'est un titre plein, certes, original mais qui reflète bien la vie d'Ezio
Baziana qui traversera le 20 ème siècle et surtout connaîtra les affres de la guerre
mondiale.
Ses parents italiens, piémontais, pour être plus précis, à peine installés en France
en Gironde vont être séparés par la première guerre mondiale.
Le père ira à la guerre....Citoyen italien il est appelé au front lorsque son pays en 1915
épouse la cause de la triple entente.
Son fils, Ezio va vivre sa petite enfance sans connaître ce père qu'il lui faudra découvrir
après l'armistice.
Comme beaucoup d'italiens installés dans l'hexagone, c'est un combat double qui est mené, un
pour se construire et un autre pour se faire accepter.
Le premier est dur mais il y a la volonté et l'énergie qui feront de ce couple, une famille aisée grâce à leur travail acharné.
L'autre sera difficile, Ezio est « un macaroni » pour ses petits camarades de classe et son succès scolaire ne plaît pas à tout le monde et notamment à certains politiciens.
Le petit garçon grandit et réussit avec l'aide de son maître d'école, « hussard noir » de la République qui sera son premier tuteur en dehors de ses parents.
La perte accidentelle de son père va, avec la douleur immense qui envahit Ezio, déclencher une vocation qui ne le quittera pas :
il ne sera pas cimentier, ni maçon mais médecin.
La vie n'est pas un fleuve tranquille en ces temps troublés par la montée du fascisme en Italie et le bruit des bottes dans toute l'Europe.
Le destin d'Ezio est tout tracé, il ne sera pas linéaire mais héroïque et dramatique.
C'est un combat rude qui se prépare....la carapace qu'il s'est forgée et l'énergie sans commune mesure qui l'habitent lui feront franchir les obstacles au péril de sa vie.
Ceux et celles qui le côtoient le trouvent dur, insensible, ce n'est pas le cas, il a de l'empathie mais quand on a comme lui connu l'horreur des camps nazis comme prisonnier, on n'en revient pas indemne physiquement et psychologiquement.
Ezio est viscéralement pour la liberté, l'égalité et surtout la fraternité , comme il le dit.
Il fait comme son vieux maître d'école qui lui a balisé le tout début de son parcours, il fait émerger une leçon de morale :
«  Vous vous battrez pour que personne au monde ne traverse presqu'un siècle d'épreuves comme celles que j'ai vécues....Ces temps-ci je tremble de la bêtise des hommes. L'histoire bafouille. Je suis épuisé par la vie. »
Ce livre qui m'a pris aux tripes et qui va laisser des traces est d'une actualité brûlante....
L'histoire balbutie, le rejet de l'autre et le racisme sont à notre porte.
Que ce roman apporte aux lecteurs l'envie de rester empathiques vis à vis des autres, ceux qui viennent d'ailleurs, qui fuient la misère et la guerre pour essayer de trouver une terre accueillante !

Jean-François Chalot
Un roman aux multiples approches 8 étoiles

Ce roman appartient plutôt à la catégorie des relativement courts, ce qui lui permet d'éviter le délayage et donc de rester sur le propos.
Nous avons un roman structuré, sans longueurs, où tout est dit cependant.
Sur ce plan, c'est une première réussite.

Sur le plan romanesque, on y trouve les événements, les rebondissements, les personnages, le suspens, le rocambolesque, nécessaires à un bon déroulement : seconde réussite.

Le point de vue du narrateur, celui d'un enfant d'immigrés italiens en France, où l'attachement à l'histoire, à la culture italienne est aussi important que la volonté de s'intégrer dans leur pays d'adoption constitue un choix judicieux permettant de s'identifier à ce personnage. Troisième réussite.

Sur le plan du contenu, le lecteur est immergé dans le contexte de cette époque difficile où s'épanouissent le fascisme et le nazisme. Le lecture suit de l'intérieur les conséquences pratiques, matérielles et humaines de l'évolution de ces mouvements. Il les vit au côté de ces personnes pour qui ces idéologies sont grandement éloignées des nécessités de leur vie, de leur réalité quotidienne.
Quatrième réussite

La dimension de l'intégration, de l'attachement aux cultures ancestrales, du soucis de s'intégrer sans renier les origines familiales constitue une cinquième réussite.

Par le personnage principal, l'auteur expose toutes les incidences de ces événements sur la vie d'Ezio de sa naissance à sa mort. Il nous offre un autre thème dans ce roman, une sorte de saga tantôt individuelle tantôt familiale.
Sixième réussite

Cet ouvrage, tout à la fois roman, saga familiale, roman historique, réflexion sur l'intégration est lourd d'idées mais ne l'est jamais dans la lecture.
L'écriture se fait oublier, elle respecte les structures grammaticales, ne cherche pas d'effet quelconque, elle veut être le vecteur de la narration de l'auteur et là aussi elle se fait oublier.

Ce ne fut pas un roman coup de coeur mais un roman qui s'est révélé au fil des pages,se révélant petit à petit comme s'il fallait le laisser infuser.
Je l'ai lu avec un intérêt soutenu, voulant découvrir le devenir d'Ezio mais c'est presque lorsque je l'ai eu terminé que je l'ai le plus apprécié. Il est comme un bon café, un bon chocolat, un bon vin : on les apprécie à la première approche puis on savoure les arômes qu'ils laissent en bouche. Là, les différentes composantes se sont révélées petit à petit.
J'en suis sorti avec quelques connaissances historiques en plus, un enrichissement sur la vision de l'immigration, tout cela dans un joli emballage romanesque, nous conduisant d'un siècle en arrière aux questionnements actuels

Ce n'est pas un livre inoubliable a priori et pourtant sa teneur m'accompagnera encore longtemps. Il mérite grandement d'être lu, chacun y trouvera quelque chose pour lui.

Mimi62 - Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans - 19 juillet 2021


L'émigration itallienne en France au XX° siècle 7 étoiles

Ce livre pourrait être la parfaite illustration de ce que fut, au début du XX° siècle, le flux migratoire des Italiens du nord vers la France où ils ont fondé une communauté soudée, courageuse, travailleuse, entreprenante, dure au mal, qui dut faire face à de nombreuses humiliations et vexations avant de s’installer durablement dans son nouveau pays où elle a créé pratiquement toutes les entreprises du bâtiment et des travaux publics qui ont construit la France du XX° siècle, celle du béton armé ou précontraint, celle des grands immeubles, des ponts, des autoroutes, etc…

Ezio, né en 1915, est le fils de Giovanni et Gesuina Baziana qui se sont installés dans la région bordelaise au début du XX° siècle. Le père a travaillé dur avec l’aide de son épouse pour charrier des blocs de pierres de la carrière vers les divers chantiers locaux. Ils avaient un cheval, ils pouvaient ainsi choisir leurs chantiers et leurs clients et travailler pour leur propre compte. Leur petite entreprise prospérait jusqu’au jour où un malheureux télégramme rappela à Giovanni qu’il était toujours citoyen italien et qu’il devait participer à la défense du pays contre l’envahisseur austro-hongrois. Ezio n’était qu’un nourrisson que sa mère emmenait avec elle dans tous les charrois qu’elle a effectuée seule pendant que son mari se battait sur le front piémontais. Après la guerre Giovanni, toujours aussi imaginatif et entreprenant, constitue progressivement une petite fortune en lançant dans une nouvelle technologie : le béton précontraint qu’il convoie lui-même sur tous les chantiers de ses collègues bâtisseurs. Mais l’âge d’or ne dure pas, lors de sa première sortie à la mer avec sa nouvelle automobile dont il est si fier, il est foudroyé par une hydrocution en plongeant dans l’eau froide dès son arrivée sur la berge.

Ezio n’est encore qu’un gamin de douze ans, c’est un brillant élève, le meilleur du canton, il décide qu’il ne sera pas instituteur comme le sien le voudrait, ni patron de l’entreprise conservée par la mère et un contremaître, il sera médecin pour comprendre comment son père a pu décéder si brutalement. Il entreprend et réussit les études nécessaires puis installe son cabinet où il s’investit auprès de plus pauvres, il sait d’où ils viennent. Mais Ezio n’en n’a pas fini avec l’Histoire. Lors d’un séjour dans sa famille italienne, il doit fuir précipitamment, en empruntant un itinéraire périlleux, pour échapper aux Chemises noires mussoliniennes qui voudraient l’enrôler prestement et l’envoyer tout aussi vite sur le front en Abyssinie. Il réussit son expédition et demande rapidement la nationalité française qui n’est pas la meilleure façon d’assurer sa sécurité. En 1943, ses collègues de l’Ordre des médecins, le désigne comme « volontaire » pour le funeste STO, il avait sans doute le tort d’être étranger. Malgré toutes ses démarches et rebuffades, il doit rejoindre Ratisbonne (Regensburg en allemand), au confluent du Danube et de la Regen, où il est affecté dans les usines Messerschmitt chargées de la fabrication du premier avion militaire à réaction. Un site ultra secret !

Ses malheurs ne font alors que commencer, il subit un traitement extrêmement sévère, il est même condamné à mort, sauvé in extrémiste par le vieux médecin allemand qu’il assite pour maintenir un minimum de vie chez les prisonniers travaillant dans cette immense usine souterraine. Là, il va connaître un événement terrible dont la description m’a beaucoup émue : le gigantesque bombardement des usines Messerschmitt par les Alliés. Son biographe raconte comment il l’a vécu, j’ai lu, il y a très longtemps, Un livre, Chasseurs dans le soleil, de John E Johnson, un ancien pilote de chasse britannique qui évoque ce bombardement lors duquel il a couvert les bombardiers qui déversaient leur mortelle cargaison sur sa tête et celle de mon père qui était lui aussi prisonnier de guerre dans cette même ville mais dans une autre entreprise. Il m’a souvent raconté la violence de ce bombardement et l’angoisse qu’ils éprouvaient, lui et ses camarades, chaque fois que les sirènes signalaient l’approche de nouvelles vagues de largueurs de mort. La guerre est souvent aveugle et frappe souvent au hasard, ce n’était l’heure ni pour Ezio ni pour mon père.

Lire c’est aussi faire des rencontres avec des auteurs, des éditeurs, des distributeurs et parfois se faire rencontrer dans un même texte des gens qui ne se sont jamais rencontrés et qui ignorent même l’existence de ceux avec qui on les met en scène. Vous comprendrez que, pour moi, ce livre véhicule une émotion particulière.

Débézed - Besançon - 76 ans - 22 juin 2021