La Mer Noire dans les Grands Lacs de Annie Lulu

La Mer Noire dans les Grands Lacs de Annie Lulu

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Nathavh, le 3 février 2021 (Inscrite le 22 novembre 2016, 59 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
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Immense coup de coeur, quête identitaire

Attention pépite ! C'est mon premier coup de coeur de cette rentrée !

Un titre étrange : "La mer Noire dans les Grands Lacs", un roman initiatique, une quête d'identité.

Nili Makasi s'adresse à son fils qui va bientôt naître.

Nili est née à Iași en Roumanie, au bord de la mer Noire en 1989. Elle est le fruit d'une nuit à la fête du printemps entre sa mère Eléna Abramovici aujourd'hui professeure à la Faculté de lettres de Bucarest et un étudiant congolais Exaucé Makasi Motembe. Nili est la honte de sa mère avec qui elle a passé ses dix-huit premières années dans l'appartement de la rue Quinet à Bucarest.

Une mère froide, sans amour, qui n'hésite pas à lui balancer des coups et cette phrase assassine :
"J'aurais dû te noyer quand tu es née, j'aurais dû t'écraser avec une brique" lorsqu'elle la questionne sur son père.

Faut dire qu'en Roumanie, la situation était difficile à vivre; le racisme et la répression de cette société meurtrie sous la dictature.

Elle est rejetée, Elena elle-même est sans contact depuis sa naissance. Sa fille, sa tache, sa honte ... Mineure à la naissance de Nili, elle ne l'a pourtant pas abandonnée comme le suggérait le système.

Un père reparti au Congo qui voulait le mariage, impossible par le régime. Et puis de la révolution roumaine à la congolaise, une situation difficile, un père absent mais qui écrit régulièrement à Elena.

En 2015, Nili a 25 ans , elle vient étudier à Paris car Elena ne cesse depuis toujours de lui dire "Tu existes parce que tu as un cerveau. Sinon tu n'as aucune valeur pour moi". Elle deviendra professeur, au destin tout tracé, c'est ce qu'a prévu Elena mais Nili en a décidé autrement. Elle veut retrouver ses racines, partir au Congo rencontrer sa famille, découvrir une autre facette du monde, une autre révolution, une autre cause.

De Iași à Bucarest en passant par Paris en route pour Kinshasa et Goma et ses grands Lacs, seconde partie de ce titre mystérieux.

Ce roman est un bijou. C'est la quête d'identité, la transmission des racines, un geste d'amour pour l'enfant à naître.

La construction est très intéressante et aboutie. La langue est poétique, flamboyante, pluriculturelle.
Annie Lulu tisse les mots, les langues en glissant par ci du roumain, du lingala par là du Kiswahili au récit. Le tout s'entrelace en harmonie, c'est poétique, c'est musical.

Elle aborde l'Histoire, les traditions roumaine et africaine, nous parle des révolutions d'un temps passé, des émeutes, met en avant de belles valeurs. Elle cherche sa place dans ce monde et transmet beaucoup d'amour.

Ce roman est bouleversant tant par sa profondeur que par sa beauté. Il fait partie des livres que l'on prend le temps de savourer, de relire quelques passages et qu'on n'a pas envie de refermer tant l'écriture est forte et singulière.

Lisez-le, je me répète mais ce premier roman est un diamant à facettes, une pépite rare !

Gros coup de coeur.


Les jolies phrases

Les absents, tu vois, mon chéri, on n'y peut pas grand-chose. Tu l'apprendras plus tard, ce n'est pas souvent qu'ils choisissent de partir. Il ne faut pas en avoir après eux. Quand j'ai fini par réaliser combien disparaître n'est pas toujours un choix, en venant ici au Congo, c'était trop tard : la haine avait déjà fait son oeuvre dans mes entrailles. Même si je ne me détestais plus comme avant, je n'ai pas pu m'empêcher, jusqu'aujourd'hui, alors que je te caresse de mes mains pour construire un mur de tendresse entre la haine et toi, pour interdire à la haine de traverser le cordon nourricier par lequel je te transmets désormais la force d' Exaucé Makasi Motembe, je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir coupable et de me haïr moi-même de l'avoir haï lui. La haine mon fils, c'est une malédiction. En elle, des millions de continuateurs silencieux se mutinent un jour contre celui ou celle qui l'a laissée entrer une seule fois dans son coeur, puis le tuent.

C'est comme si Elena avait donné toute sa réserve de bois sec dans le feu de paille de mon père et qu'elle attendait qu'il revienne bûcher des troncs dans sa mangrove inexploitée avec l'idée qu'au fond, il lui devait quelque chose, et que cette dette avait condamné tout désir pour qui que ce soit d'autre, tant qu'elle ne serait pas payée en retour.

Tu sais, mon fils, le corps est un fruit étrange. C'est à la fois l'écorce d'un arbre guérisseur et la racine de tout ce qui fait mal.

Cet appartement où j'ai connu la solitude, c'est la ravine creusée par les eaux communes de mes parents déversées dans l'amour, la niche excavée abritant à la fois les étoiles les plus belles que ma mère ait contemplées depuis la fièvre de son pays intérieur, et les larmes de mon père.

Mon grand corps c'est mon amour et tu étais dans ce corps. Tu prends racine dans mon amour et mon amour se nourrit.

Si tu ne t'aimes pas, comment peux-tu m'aimer ?

Violer c'est quand tu fends un être en deux en le brisant par le ventre. Les hommes, ils font ça avec leur sexe, des bâtons et toutes sortes d'objets que je ne vais pas te décrire, et quand une femme, un bébé, un garçon est violé, ça fait de lui une béance éternelle, il n'est plus capable de se rassembler et de tisser avec les autres. Alors il y a des hommes qui violent pour ça seulement, empêcher les générations et abolir le futur, empêcher le corps vivant des autres de tisser encore ce qui nous sert de pagne.

L'amour des hommes, on ne l'apprend que par la perte ou bien l'humiliation.

Mon fils, dis-toi bien ceci : seules les choses rares ont de la valeur. Les choses rares qu'on ne peut pas toucher avec ses mains.

Tu existes parce que tu as un cerveau. Sinon tu n'as aucune valeur pour moi.

Mais tu vois mon chéri, pas de mots, plus de sourire, c'est pratique : ça fait fuir les hommes.

Mon fils, écoute-moi : où que tu ailles sur terre, dis-toi bien une chose, ce sont toujours ceux qui gouvernent par la violence à qui manque la beauté.

Ceux qui nous précèdent, ils attendent de nous que nous continuions quelque chose d'eux pour pouvoir revenir. Toi aussi, mon fils, quand tu auras des enfants, tu les verras comme une articulation d'étoiles au segment de vie, tu attendras d'eux qu'ils miroitent qui tu as été. Tu les assisteras dans leur voie, tu élargiras les rares percées de leur liberté au milieu de leurs petites existences ordinaires. Les ancêtres avec nous, ils font des chemins, comme des venelles dans les renfoncements de la vie. Et toi aussi, mon fils, comme ton père et comme le mien, tu seras un ancêtre.

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6 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 6 janvier 2024

C’était le temps où tous les dictateurs du monde se faisaient des mamours ; ici ceux entre le Léopard du Zaïre et le Conducator des Carpates. Exaucé Makasi fut donc envoyé à l’Université de Bucarest où il rencontra furtivement Elena Abramovici, dont naquit Nili.

Et puis patatras ! Le mur s’écroule, la guerre froide est terminée et les dictateurs sont remplacés tantôt par l’anarchie, tantôt par le chaos. Exaucé retourne malgré lui dans son pays qui a retrouvé son nom d’origine et Elena fait rapidement une croix sur cette erreur de jeunesse en entrant dans une relation amour-haine avec celle qui est le fruit de ses brèves étreintes.

Nili, devenue presqu’adulte, mise enceinte dans des circonstances assez semblables à ce que furent celles de sa mère, part à la recherche de son identité africaine.

Ce roman qui visiblement part d’un vécu m’est apparu un peu décousu, comme pour marquer le désarroi d’une personne partagée entre deux identités et qui ne trouve sa place dans aucune d’entre elles.

Je suis donc moins dithyrambique que Nathavh, autrice de la critique principale.

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