La vie et demie
de Sony Labou Tansi

critiqué par Septularisen, le 2 janvier 2021
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
CHRONIQUE D’UNE DICTATURE ORDINAIRE.
«La Vie et demie» est avant tout une histoire. Celle de la grandeur et puis de la décadence de la Katamalanasie, un immense pays imaginaire d'Afrique noire, qui, au lendemain de l’indépendance, est soumis à une sanglante dictature. En effet, avec l’aide d’une «grande puissance étrangère qui fournit les Guides», et entretient une armée d’occupation sur place, un «Guide providentiel» a été nommé président à vie de la république communautariste de Katamalanasie.

Et pour celui-ci, aujourd’hui est un «grand jour», puisque ses troupes viennent de capturer Martial, le chef de l’opposition armée à sa dictature, ainsi que toute sa famille. Le «Guide providentiel» se fait un malin plaisir de l’assassiner devant toute sa famille. Il l’égorge, l’éventre, lui crève les yeux, lui tire dessus au pistolet, puis à la mitrailleuse, le coupe en deux au sabre, l’empoisonne…

Mais rien n’y fait, Martial ne veut pas mourir de cette mort, et refuse de mourir! Pour se venger, le «Guide providentiel» ordonne à son cuisinier de faire une daube et un paté avec les restes de Martial et de la servir comme repas aux huit autres membres de sa famille. Mais Nelanda la mère, Jules, Nala, Zarta, Assam et Ystéria refusent de manger et sont à leur tour égorgés devant les autres de la main méme du «Guide providentiel» . Seules Chaïdana et Tristansia acceptent de manger, le «Guide providentiel» leur fait servir de la daube préparée avec les restes des autres membres de la famille, pendant sept jours d’affilés...

Du haut de ses quinze ans Chaïdana jure de passer le reste de son existence à se venger du «Guide providentiel»… Mais, comme souvent en Afrique, les morts ne meurent jamais tout à fait, - puisque les vivants n'ont guère le droit de vivre -, et Martial revient régulièrement hanter la vie du «Guide providentiel», ainsi que celle de Chaïdana…

Qu’on ne s’y trompe toutefois pas, sous couvert d’une histoire plus ou moins fantasque et fantastique, d’un conte africain typique, - avec son pesant de traditions, de magie, de croyances, de gri-gri, de potions et autres -, Sony Labou TANSI (1947 – 1995 de son vrai nom Marcel NTSONI), nous «sert» ici une véritable chronique, une véritable critique féroce, réaliste, sans complaisance et sans concessions, reflet à peine voilé de certains pays africains après la décolonisation. La Katamalanasie pouvant être ici n’importe lequel des pays africains ayant sombré dans la dictature après l’indépendance.

C’est aussi un récit polyphonique, parfois écrit comme on parle, reprenant plusieurs contes africains traditionnels et qui suit sur plusieurs générations l’histoire d’une famille et des dictateurs mis en place par la «grande puissance étrangère qui fournit les Guides» . Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’extraordinaire «Cent ans de solitude» du colombien Gabriel GARCÍA MÁRQUEZ (Ici sur CL: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/1117).

C’est écrit avec passion, sans complexe et sans aucune limite. C’est parfois très cru, très violent, très explicite! Il y a beaucoup de sang, de sexe, de tortures, de morts, de prostitutions, d’empoisonnements, de viols, d’inceste, d’arrestations et d’exécutions arbitraires, de folie… Mais, il est vrai aussi que l’on se pose la question qu’a dû se poser l’auteur, à savoir: Comment décrire objectivement un dictature féroce, comme celles qui encore aujourd’hui «survivent» sur le continent africain, et tous les corollaires qui «vont avec», assassinats politiques, népotisme, injustice, propagande, violence, corruption, disparitions, crimes... Cette écriture en rebutera certainement plus d’un, mais elle ne fait que servir le récit et la thèse que l’auteur défend.

J’avoue finir ébloui par la maîtrise et la puissance d’inventivité de cet écrivain! Son écriture, quoique parfois difficile à lire est vraiment magnifique. Et, si je ne mets pas cinq étoiles c’est juste pour la fin du livre un trop bâclée et précipitée, et qui tourne un peu trop, - à mon goût -, au récit de SF post-apocalypse. Une centaine de pages en plus n’auraient sans doute pas «fait de mal» au récit. Mais au final, précipitez-vous dans la lecture de cet auteur, ou vous risquez de passer à côté d’un des plus grands écrivains africains du XXè siècle.