Géopolitique du moustique
de Erik Orsenna

critiqué par Poet75, le 14 décembre 2020
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Un conteur chez les moustiques
Comment s’y prendre pour rendre attractif et presque plaisant un des sujets les plus rebutants qui soient, celui des moustiques, ces déplaisants insectes qui semblent n’avoir d’autre fonction que de gâcher nos étés ? Encore heureux s’ils ne sont pas vecteurs d’un des virus très déplaisants dont les effets ou, en tout cas, leurs noms, nous sont devenus familiers : Zika, dengue, chikungunya, malaria et autre fièvre jaune !
Qui peut raconter l’histoire des moustiques, des maladies que certaines variétés d’entre eux transmettent et des luttes entreprises aux quatre coins du monde pour se protéger d’eux et de leurs méfaits, à défaut de les éradiquer ? Qui peut faire d’un tel livre quelque chose d’à la fois instructif et agréable à lire ? Qui peut faire des moustiques, des virus, mais aussi des entomologistes et de tous les chercheurs des personnages aussi attrayants que s’ils sortaient d’un conte, mais sans jamais céder d’un poil sur le plan du sérieux scientifique.
Cette gageure-là, Erik Orsenna la relève haut la main. Tout comme il s’est montré capable de narrer l’exposition coloniale, la vie de Jean de La Fontaine ou les subtilités de la grammaire française, l’écrivain parvient à merveille à nous enjôler avec des histoires de moustique. Et il le fait, je le répète, avec toute la gravité nécessaire, sans céder à la fantaisie, ayant d’ailleurs trouvé en le docteur Isabelle de Saint Aubin la collaboratrice dont il avait besoin. On découvre également, au fil des pages, que l’écrivain n’a pas craint de payer de sa personne, en ayant effectué des voyages dans les différents endroits du monde où non seulement les moustiques sont les plus abondants mais où les plus redoutables d’entre eux (ceux qui inoculent les virus porteurs de maladies) s’en donnent à cœur joie (si l’on peut dire) pour piquer sans modération les pauvres humains : Panama, Guyane, Cambodge, Sénégal, Ouganda. Mais ne nous réjouissons pas trop vite, si nous habitons dans un pays comme la France, au climat tempéré, où les moustiques, s’ils sont désagréables, restent, pour la plupart, bien plus inoffensifs que dans les pays tropicaux. Les choses changent, au gré du fameux réchauffement de la planète, et les moustiques transmetteurs de maladies commencent à se plaire chez nous : on a déjà signalé la présence du moustique tigre dans un grand nombre de départements français.
C’est bien de mondialisation dont il est question dans le livre d’Erik Orsenna. D’une part, parce que les moustiques n’ont pas de frontières et profitent de tous les moyens possibles pour se livrer à leurs besognes sur des terres nouvelles qu’ils ne demandent qu’à conquérir. D’autre part, parce que des scientifiques du monde entier collaborent dans la recherche des soins à apporter aux malades mais aussi des protections contre les maladies et des moyens de lutter contre la prolifération des insectes. Comme le rapporte très bien Erik Orsenna, aucun de ces sujets n’est simple et toutes les solutions envisagées posent question. Se débarrasser purement et simplement des moustiques (si cette radicalité s’avérait concevable) ne serait d’ailleurs pas nécessairement profitable, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. Non seulement parce que cela créerait un déséquilibre grave du point de vue de l’équilibre naturel des espèces (que mangeraient les animaux qui se nourrissent des insectes ou de leurs larves ?) mais aussi, parce que, comme on le sait, la nature ayant horreur du vide, les virus si redoutables pour les humains, privés de moustiques, trouveraient probablement refuge chez une autre espèce animale et seraient vraisemblablement encore plus dangereux qu’ils ne l’étaient auparavant ! Cela étant, comme l’affirme Erik Orsenna à la fin de son livre, avec les histoires de moustiques, il y a de quoi s’effrayer, sans nul doute, mais aussi rester humbles, et enfin, surtout, s’émerveiller ! On le croit sur parole !