22/10, 22:10 de Thierry Radière

22/10, 22:10 de Thierry Radière

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 30 novembre 2020 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 7 étoiles
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Chronique d'un suicide

Thierry Radière, lui qui si souvent a écrit sur la famille et le bonheur qu’elle dégage, pour une fois emprunte un chemin qui lui est bien peu familier, il explore les frontières de la vie, plus grave encore : de l’envie de vivre, et de la mort. Il confie sa plume à un enseignant qui, atteint par l’âge de la retraite, décide de ne pas subir le sort qui lui est réservé, il décide d’être maître de sa vie en décidant l’heure et la façon dont il mourra. « Les grandes décisions, on ne les regrette jamais. Aujourd’hui, vingt-deux octobre à vingt deux heures dix exactement, je suis décidé ». Il veut mettre un terme à ses jours. « Je voulais mourir parce que je ne me voyais pas retraité, en fin de carrière, plus bon à rien, avec comme seul emploi du temps celui de mon ennui… ». « Ce qui me gênait dans la cessation de mon travail que je voyais arriver avec angoisse, c’est que j’allais devoir prouver à mon entourage et moi-même que je pouvais continuer d’exister sans retrouver ma classe. »

Alors, Il s’enfonce dans une champignonnière qu’il a déjà visitée avec ses élèves, pensant mourir doucement en pénétrant dans les entrailles de la terre. Et, Il se souvient de cet homme qui marchait dans la mer, « La seule chose qu’il s’appliquait à bien faire, c’était avancer droit devant lui, le reste ne l’importait pas… ». Mais, la vie est plus tenace qu’il ne le croit, on ne meurt pas forcément brutalement, une longue agonie est souvent nécessaire. Il trouve le temps long, s’épuise, s’affaiblit. « La lassitude est le propre du voyageur », il le sait désormais. « La mort ne me tombera pas dessus comme ça, gentiment, sans douleurs et sans peurs… ». Il voyage aux confins de la vie, un peu comme le soldat qu’Ooka conduit là où notre monde tutoie celui de l’au-delà, dans son grandissime roman : « Les Feux ».

A la naissance de son fils, il a abandonné la mère et l’enfant par peur de devenir père, vingt-sept ans plus tard c’est ce fils qui l’a recherché et retrouvé mais pour une parenthèse de bonheur, hélas, bien trop courte, l’enfant devenu un homme étant décédé rapidement. Une période qu’il a surmonté avec d’énormes difficultés, des difficultés bien plus importantes que celles qu’aujourd’hui il cherche à fuir. Mais fuir, mourir, il ne le veut plus vraiment, il veut sortir de cette caverne, vivre encore, retrouver la lumière et pourtant son geste semble inéluctable, sans retour possible. L’évocation du fils qu’il a abandonné à la naissance et qui l’a abandonné au moment de le retrouver, semble lui apporter la force qui lui manquait pour affronter son temps vide et surtout pour sortir du piège dans lequel il s’est lui-même enfermé.

Thierry Radière dévoile dans ce texte les premiers symptômes de l’angoisse de la fin de vie, ceux qui apparaissent lors de la première rupture de l’existence, celle de l’activité professionnelle. C’est une réflexion angoissante car elle marque l’entrée dans un tunnel, dans une grotte, qui conduit inéluctablement vers l’issue fatale qu’il montre comme un jeu macabre sur la vie et la mort : l’un, l’enfant, apparait, l’autre, son père, disparait puis l’enfant reparait pour disparaître à nouveau entraînant, dans un futur indécis, son père vers une autre disparition. C’est tout le cycle de la vie et de la mort avec toute l’injustice qu’il comporte, frappant anarchiquement les êtres sans grand égard pour leur âge, condition, désir, envie, …, que ce texte développe.

« Je ne veux pas mourir ici, j’en suis certain maintenant : je ne suis pas venu au monde pour m’enterrer ». « Après tout l’existence n’est qu’une série de mots qu’on trouve séduisants : ils nous parlent, ont du sens ; d’autres pas. Il y a des mots nouveaux qu’on apprend tous les jours, certains donnent même la chair de poule ».

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