Relevé de terre
de José Saramago

critiqué par SpaceCadet, le 26 novembre 2020
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Hommage aux journaliers des latifundiums portugais
Publié quelques six années après que le Portugal ait mis fin au gouvernement de l’Estado Novo, dédié à deux figures ayant marqué le mouvement ouvrier (1), ‘Relevé de terre’ rend hommage à ceux et celles qui ont vécu, souffert, puis lutté pour s’affranchir des misérables conditions de travail et de vie auxquelles, d’une génération à l’autre, ils ont été soumis.

Roman historique et roman du terroir tout à la fois, roman engagé et imprégné d’un esprit pro-prolétaire gauchisant, il adopte sans concession le point de vue des gagne-petit. En cela, c’est un roman qui s’inscrit d’emblée dans la lignée des œuvres d’auteurs tels qu’Emile Zola ou John Steinbeck.

Prenant place au sein d’un continuum historique, le récit s’attarde puis s’installe éventuellement dans la région centre du Portugal (Alentejo), en milieu agricole, et traverse avec plus de précision les années 1920-1975. Entre le début du XXe siècle et la révolution des œillets, trois générations de la famille Mau-Tempo (Mauvais-Temps) se succèdent à travers lesquelles l’auteur dresse un portrait de l’existence qu’ont pareillement connue une multitude d’hommes et de femmes. Analphabètes et pauvres, inéluctablement soumis au régime imposé par une poignée d’exploitants terriens (qui bien souvent bénéficient de la complicité avouée de l’armée et de celle inavouée de l’église), las de la misère et des injustices, peu à peu, ces hommes et ces femmes apprennent à se ‘soulever’ pour affronter ceux qui tirent les ficelles économiques et politiques de leur pays.

Sous la commande d’un narrateur omniscient, le point de vue adopté pour la narration s’installe à une certaine distance des principaux personnages, nous offrant ainsi une perspective élargie qui suggère bien l’amplitude avec laquelle ces conditions de vie furent reproduites. Si cette approche nous permet d’observer avec plus de recul et d’ainsi mieux prendre la mesure de la progression des situations décrites, passant d’une génération à l’autre et survolant l’existence des uns et des autres, cette vue panoramique laisse moins de place au développement d’une quelconque intrigue si bien que celle-ci demeure tout au long du récit relativement peu soutenue.

Cela étant, la qualité de la narration ainsi que de la prose compense largement pour cette quasi absence d’intrigue et tous deux rendent admirablement compte de ce chapitre de l’histoire du Portugal. Le rythme inhérent à la phrase et la justesse du verbe s’ajoutant au vif attachement de l’auteur qui transpire du récit, contribuent à créer une telle harmonie entre forme et fond que l’ensemble peut aisément évoquer l’idée d’un chant ou d’une ode composée en hommage à ces hommes et ces femmes qui se sont battus pour… un monde plus juste.

Tout simplement magistral !


1.Germano Vidigal et José Adelino dos Santos