Le dialogue musical : Monteverdi, Bach et Mozart
de Nikolaus Harnoncourt

critiqué par Fee carabine, le 16 août 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un bonheur musical...
J'aime beaucoup le travail de Nikolaus Harnoncourt - chef d'orchestre. Il fut l'un des précurseurs du mouvement des "baroqueux", qui tente de restituer le plus fidèlement possible les oeuvres des époques baroque et classique telles que leurs compositeurs souhaitaient les entendre jouer, faisant appel pour cela à des instruments dits "d'époque". Le souci d'authenticité de Nikolaus Harnoncourt, joint à sa volonté de véritablement redonner vie à ces musiques, a donné lieu à de nombreux enregistrements passionnants. Il est même parvenu à donner un soufle nouveau au sempiternel concert de Nouvel An, exhumant quelques valses oubliées et dépoussiérant au passage "Le beau Danuble bleu" et "La marche de Radetzki", leur rendant tout leur brillant et leur légèreté.

Je viens de le retrouver dans un autre exercice: écrire à propos de musique... Nikolaus Harnoncourt nous avertit d'entrée de jeu des difficultés de l'entreprise, de l'impossibilité fondamentale de "décrire" la musique, de décrire la sonorité d'un instrument ou d'un orchestre. On se trouve réduit en fait à user de métaphores, à parler d'un son sombre ou brillant, ouvert ou assourdi... Expressions ambiguës et insuffisantes pour nous permettre d'"imaginer" un son. Pire encore, la lecture des partitions se révèle souvent insuffisante, que celles-ci soient fragmentaires (dans le cas de Monteverdi), ou qu'elles aient été écrites en suivant des conventions dont nous ne possédons plus toutes les clés (dans le cas de Bach et de Mozart). C'est ce travail d'interprétation des partitions qui fait l'objet de la série d'articles rassemblés dans ce livre. Parmi les sujets abordés, on trouve notamment:

- La question de l'instrumentation dans les opéras de Monteverdi - celle-ci était laissée à l'appréciation du directeur pour chaque série de représentations, en fonction des effectifs disponibles, de l'acoustique de la salle de concert, mais en suivant certaines règles, par exemple l'interdiction d'associer des instruments "doux" (flûtes, luths, harpes....) et des instruments "forts" (trompettes...), dont toutes les subtilités ne nous sont pas parvenues.

- L'architecture de la "Passion selon Saint-Jean", grande arche encadrant un "coeur", le choral "Durch dein Gefängnis, Gottes Sohn, ist uns die Freiheit kommen" - la Passion du Christ pour la rédemption des âmes - le coeur même du Christianisme. Une architecture tout à fait originale, en comparaison des oeuvres de ses prédecesseurs qui se contentaient d'une illustration musicale du récit de la Passion dans les Evangiles.

- La reconstruction du hautbois "da caccia", un type particulier de hautbois dont la forme est incurvée, imitant un cor de chasse, contrairement au hautbois traditionnel, ce qui lui confère une sonorité plus douce en même temps qu'une plus grande flexibilité.

- Les indications de tempo chez Mozart. Celles-ci sont extrêmement précises mais aussi difficiles à interpréter pour la simple raison que la signification des termes tels que "andante", "allegro"... a beaucoup évolué au fil des années. Où l'on apprend aussi que Louis XIV est très probablement à l'origine du ralentissement subi par le "tempo di minuetto" au cours du XVIIème siècle: grand danseur devant l'éternel, Louis XIV aimait particulièrement danser le menuet, danse à l'origine très rapide et virtuose, mais l'âge et l'embonpoint venant, il n'était plus capable de tenir le rythme... suscitant alors la composition de menuets au tempo plus lent (l'anecdote est, semble-t-il, rapportée par Saint-Simon).

Ceci pour vous donner une idée très fragmentaire du contenu de ce livre qui est une véritable mine d'or pour l'amateur de musique baroque. C'est parfois un peu technique, mais cela reste tout à fait lisible pour un amateur (au sens noble du mot) et c'est passionnant de bout en bout tant on y sent l'amour de Nikolaus Harnoncourt pour ces musiques qu'il veut faire revivre dans toute leur richesse et leur beauté. Un ouvrage que je n'hésiterais pas à qualifier d'indispensable pour qui aime les musiques de Monteverdi, Bach et Mozart, et qui permet de se replonger dans l'écoute de leurs oeuvres avec une attention et un plaisir renouvelés: retrouver la texture un peu rugueuse des interprétations de Monteverdi par Harnoncourt ou celle plus chatoyante des enregistrements de René Jacob, découvrir la sonorité un peu feutrée du hautbois da caccia mariée à celle de la flûte accompagnant l'aria "Zerfliesse, mein Herze" dans la "Passion selon Saint-Jean" (un des arias les plus émouvants que Bach nous ait laissé), et se laisser emporter par la tension dramatique qui parcourt la messe en ut mineur de Mozart...

Un petit avertissement tout de même. La lecture de ce livre risque d'avoir pour effet secondaire un gonflement soudain de votre discothèque (pour ma part, il faut que je me procure de toute urgence les Vêpres "della Beata Vergine" de Monteverdi!) ;-).