Mon combat, V : Comme il pleut sur la ville
de Karl Ove Knausgård

critiqué par Septularisen, le 13 septembre 2020
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
RÉCIT EXTRAORDINAIRE D'UNE VIE TRÈS ORDINAIRE.
«Comme il pleut sur la ville», est le cinquième volume de l’autobiographie (originellement parue entre 2009 et 2011), de Karl Ove KNAUSGAARD (*1968, ci-après nommé KOK), mais comme tous les volumes précédant, celui-ci peut bien sûr se lire indépendamment des autres.

Dans ce livre-ci, nous retrouvons KOK à ses dix-neuf ans. Après une année passée dans le grand Nord de la Norvège à enseigner (voir le quatrième volume de l’autobiographie «Aux confins du monde», ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/57755), KOK déménage a Bergem (la ville entonnoir où il pleut tout le temps!...). En effet, il vient d’ être admis à la prestigieuse Académie d’écriture, (il est même le plus jeune élève jamais admis!...), avec, excusez du peu, Jon FOSSE et Ragnard HOVLAND comme professeurs! Il en est très fier, et déborde d’enthousiasme et d’ambition littéraire. d’autant plus que l’écriture est toute sa vie, tout ce qu’il veut faire dans sa vie!..

Il est heureux, il va habiter près de son frère (qui étudie et habite déjà dans la même ville), entre de plain-pied dans la vie d’adulte, possède pour la première fois de sa vie son petit studio et sa ligne téléphonique, et même son indépendance financière, puisqu'il vient de recevoir son prêt d’étudiant.

Mais rapidement, il sens l’ennui poindre, il se sent écrasé par ses professeurs et rejeté par les autres élèves qu’il considère bien meilleurs que lui, et avec qui ses rares efforts de socialisation se soldent par des échecs cuisants… Ses illusions volent en éclat, car les autres étudiamts considérent son écriture puérile, sans éclats et pleine de clichés… Ses vieux démons le reprennent. Il se considère comme une mauvaise personne qui fait les pires choses, un écorché vif, sa fragilité refait surface. Pour exorciser sa timidité (notamment avec les femmes...) et "soigner" son mal être, et sa noirceur intérieure, il recommence à beaucoup (mais alors beaucoup, eihn…) boire, et se met régulièrement des “mines” a la bière et au vin, noyant ainsi son humiliation dans l’alcool…

Que dire de plus? Comment faire une recension sur une autobiographie unique, sur un véritable "monument" littéraire, sur une série de livres, véritables phénomènes d’édition, traduits dans trente-cinq langues et dont chaque volume s’est vendu à plus de 500.000 exemplaires en Norvège? Disons tout d’abord qu’encore une fois KOK ne fait que raconter sa vie, et rien que sa vie, son "existence" étant le seul "matériel brut" servant de base à ses écrits. Toujours dans son style particulier qui ne nous cache rien. C’est fluide, facile à lire, direct, franc, honnête, sans faux-semblants et sans fioritures! Les pages se tournent sans que l'on s'en aperçoive vraiemnt. Et contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là, je ne trouve pas du tout que son style a changé d’un tome à l’autre!

Ensuite? Et bien on peut toujours le taxer de manque d'emphatie, de superficialité, de misérabilisme, de nombriliste, d’égoïsme, et de tous les autres “ismes” que l’on veut... C’est toujours aussi beau et aussi fascinant à lire. On reconnaît facilement l’influence du poète norvégien Olav HAUGE (ce qu’il reconnaît volontiers d’ailleurs…), mais aussi d’un Thomas BERNHARD, Julio CORTAZAR, ou bien encore d'un José-Luis BORGES. Ce sont des phrases longues (parfois même très longues), il faut le dire, mais jamais ennuyeuses, il faut le dire aussi! KOK n’a pas son pareil pour nous intéresser de façon extraordinaire à ce qui n’est au fond que l’ordinaire d’une vie très, mais alors très banale.

C’est très hyper-réaliste, lent (parfois très lent), très détaillé, routinier, rempli de digressions, - car KOK n’a pas son pareil pour nous parler de la poésie de Paul CELAN, de l’écriture de Thomas MANN, de la philosophie de Michel FOUCAULT… -, de détails, d’énumérations plus longues les unes des autres, de clichés parfois brutaux, … On peut aussi ne pas être d’accord avec lui – je trouve p. ex. qu’il parle d’une façon immonde, absolument abjecte des personnes handicapées dans ce volume, mais à sa décharge c'est le récit de quand il avait à peine plus de vinght ans -, et pourtant? On en redemande toujours plus!

Je finis ébahi, émerveillé, époustouflé par l’écriture du Norvégien! Je suis devenu complètement accro à son style et a son histoire... Et un de ses plus grands fans! Ayant à peu près le même âge que lui, je retrouve beaucoup de ressemblances avec ma propre jeunesse dans ses récits, de ce fait, je ne suis peut-être pas tout à fait objectif dans mon jugement. Mais, je reste assez lucide pour comprendre que certains s’ennuieront ferme à la lecture de ce livre. Encore une fois, avec KOK c’est tout ou rien! On aime ou on n'aime pas! On l'aime, ou on trouve que c'est su sacré connard! Il n’ y a pas de juste milieu. Mais, si comme moi (vous l’aurez compris… ), on aime, alors, il se créé une véritable “relation” entre lui vous! Une véritable "émotion" (un "feeling" comme diraient les anglais), et je peux vous garantir que c'est une des plus grandes expériences de lecture de votre vie qui vous attend!

Quelques-unes des belles phrases du livre, quand KOK tombe amoureux et nous parle d’amour:

- Tout avait changé, je le savais. Mon cœur me le disait. Et le cœur ne se trompe jamais. Jamais, jamais le cœur ne se trompe.

- Je suis amoureux jusqu’aux dents. J’en ai mal partout. Dans les articulations. J’ai mal aux articulations.

- Je n’avais rien mangé de la journée et, une fois rentré chez moi, je ne pus avaler quoi que ce soit non plus, je n’en avais pas la force et ça ne me semblait pas nécessaire. Je me consumais de toute façon.

- C’était terrible, je flottais à de telles hauteurs que la seule chose qui pouvait m’arriver était la chute.

- J’aurais pu lui dire qu’elle était une étoile, une lumière, mon soleil. J’aurais pu lui dire que je me languissais d’elle à en être malade. J’aurais pu lui dire que je n’avais jamais vécu chose pareille de toute ma vie, alors que j’avais vécu bien des choses. J’aurais pu lui dire que je voulais être avec elle pour toujours.
Mais je ne dis rien.

- Je suis tellement amoureux que je ne sais plus quoi faire.

- Je me languissais tant d’elle que c’en était insupportable. Que le bonheur pût faire aussi mal m’était inconnu.

- Les choses allaient mal. Jamais je ne réussirais à la conquérir. Comment pourrais-je y arriver?
Renoncer était beaucoup plus facile, il suffisait de lui dire froidement au revoir et de ne plus la recontacter. Tous mes problèmes, toute ma souffrance, toutes mes défaites prendraient fin.
Mais je ne pouvais pas.

- Quelque chose me disait que si je me levais pour la prendre dans mes bras, elle me répondrait, que ce dont je rêvais pourrait devenir réalité.
Mais je n'osais pas. Je restais assis et l'instant s'échappa.

- Elle prononça mon nom avec une telle intensité que je me sentis fondre. Dans l'escalier, qu'elle gravit facilement et avec rapidité, j'avais les jambes flageolantes.
Mais quel enfer!

- Je ne la lâcherai plus jamais. Jamais, jamais.
Je restai avec elle toute la nuit. Nous nous cherchions, tout ouverts l'un à l'autre, et tout n'était que clarté, J'avais mal de bonheur car je l'avais, elle était là, tout le temps. Tout le temps elle était avec moi, et j'avais mal de bonheur et tout n'était que clarté.

- C'était notre premier jour ensemble. Car nous étions ensemble!
Ce jour-là, je fus submergé par des vagues de bonheur.