Torquemada et l'Inquisition espagnole
de Rafael Sabatini

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 10 septembre 2020
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Sempiternel fanatisme religieux !
Ce livre n’est pas une biographie de Torquemada. C’est l’histoire de l’Inquisition espagnole mise en place par Torquemada sous le règne d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon. De Torquemada lui-même, on sait peu de chose. Il a été un homme secret et caché, nous dit l’auteur. Il n’apparaît à l’historien que dans ses exhortations à convaincre la Reine Isabelle à vaincre sa répugnance pour les tribunaux de l’Inquisition « en brandissant sur elle la menace du courroux céleste et de la damnation éternelle ».

L’auteur commence par un portrait plutôt flatteur de la Reine Isabelle. Il nous présente ensuite Ferdinand d’Aragon comme un personnage bigot avec le pape, soumis devant sa femme, mais redoutable diplomate. Il nous explique la présence du très grand nombre de Juifs en Espagne à cette époque. Cette immigration, selon l’histoire juive, aurait commencé dès le IVème siècle av. J-C. C’est important quand on sait que l’Inquisition espagnole était surtout dirigée contre les Juifs considérés comme des hérétiques.

L’auteur nous présente ensuite une courte biographie de saint Dominique, fondateur des Dominicains et enquêteur pour l’Inquisition lors de la croisade albigeoise. L’auteur nous dit que, complètement écœuré par les excès des tribunaux du Saint-Office – c’est à dire de l’Inquisition – il alla plaider chez le pape leur abolition, préférant convertir les hérétiques par la prédication. Ce que le Pape Honorius III lui accorda. Néanmoins, selon la volonté du même pape, les Dominicains restèrent les grands maîtres de l’Inquisition, surtout en Espagne où le Pape Sixte IV, en 1474, leur ordonna d’y établir leurs tribunaux.

Cette introduction historique – qui prend quand-même un tiers du livre – décrit très bien l’ambiance de l’Espagne à cette époque. Une Espagne catholique, en lutte depuis des siècles contre les Maures et qui était, surtout en Castille, très dépendante de la communauté juive.
Cette partie historique est vraiment très intéressante.

L’auteur se lance ensuite dans ce que fut l’Inquisition en Espagne et le lecteur est glacé d’effroi. Il nous détaille les trente-six articles de la règle instaurée par Torquemada et « perfectionnée » au fil du temps. Il les commente longuement mais, rien qu’à la lecture, le lecteur a saisi toute l’ignominie de ces règlements : le secret de la confession est bafoué. L’accusé – ou plutôt le soupçonné – doit dénoncer ses parents et amis qui ne peuvent être que des hérétiques. On torture les prisonniers avec un raffinement inimaginable. On leur promet la rémission s’ils avouent et, quand ils ont avoué, on les envoie au bûcher – qui brûle à petit feu pour qu’ils apprécient ce qui les attend dans l’éternité de l’enfer… La perversion des règlements de Torquemada soulève le cœur du plus endurci.

L’auteur nous explique comment la Reine Isabelle a tenté d’interdire l’Inquisition, au moins en Castille, et comment elle a dû renoncer devant la volonté du Pape Sixte IV en personne, qui lui commandait de se soumettre aux lois de purification imposées par Torquemada. Au passage, on constate une fois de plus, la réalité du contrepouvoir exercé par la papauté sur les souverains, ce qui nous a épargné les dictatures d’un pouvoir absolu. Mais ici, on tremble d’indignation devant tant de papes qui ont imposé à la chrétienté le fanatisme religieux des tribunaux du Saint-Office.

Beaucoup de chrétiens, quand ils récitent leur credo, hésitent à parler de l’Église « sainte » : « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique... » Le mot « sainte » ne passe pas. Ça peut se comprendre. Il est difficile d’accorder ce beau qualificatif à une Église qui a permis, et même ordonné, l’Inquisition.

Pourtant l’auteur se garde bien de jeter la pierre à l’Église catholique romaine. Il se veut impartial. « Sur le terrain de l’intolérance, nous dit-il, chacun trouvera dans l’histoire de sa religion, plus qu’il n’en faut pour comparaître devant le tribunal de l’humanité ». Il fustige les écrivains qui ont atténué l’horreur du Saint-Office et ceux qui sont allés jusqu’à vanter son œuvre de purification. Il dénonce avec la même ardeur tous ceux qui, parlant de l’Inquisition, « trempent leur plume dans le fiel d’une intolérance aussi virulente que celle qu’ils attaquent ».

Mais il a cherché, en vain, des circonstances atténuantes aux agissements de Torquemada et pour finir il n’a trouvé que ceci pour excuse : « le zèle de Torquemada était d’un caractère si extraordinaire qu’il pourrait presque s’abriter sous l’appellation de folie ».
Pour terminer, il nous résume son avis sur l’Inquisition : « son histoire nous prouve que, de toutes les infirmités humaines, le fanatisme est celle qui cause le plus grand tort à la société ». C’est, oh ! combien vrai ! et oh ! combien d’actualité !

J’ai beaucoup aimé ce livre, écrit en 1937 dans le beau style de l’époque. Il est bien de saison. L’Inquisition, qui fut instaurée officiellement en 1215 par le Pape Innocent III, ne fut abolie, officiellement, qu’en 1809. Mais nous constatons aujourd’hui que le fanatisme – religieux ou autre – renaît toujours sous une forme ou sous une autre. Et il est à craindre qu’il renaîtra encore et encore, tant que les hommes se soumettront, de gré ou de force, à la volonté des utopistes qui prétendent avoir trouvé la recette d’un monde meilleur.