Cymbeline
de William Shakespeare, Barbara A. Mowat (Autre), Paul Werstine (Autre)

critiqué par Fee carabine, le 7 août 2004
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Ressassement génial
"Cymbeline" compte parmi les ultimes pièces de Shakespeare, écrite juste après "Périclès" et avant "Le conte d'hiver" et "La Tempête". Ces quatre pièces sont qualifiées de "romances" par la critique anglo-saxonne: "Storybook adventures which stir feelings of grief and joy". Et "Cymbeline" est en effet une pièce pleine de bruit, de fureur et de rebondissements en tout genre. Il ne serait sans doute pas excessif de présenter l'intrigue de cette pièce comme un "remix" d'autres pièces plus anciennes: une reine machiavélique et ambitieuse (Macbeth), un roi abusé par de vils flatteurs et disposé à renier sa fille bien-aimée (Lear), un mari jaloux décidé à laver son déshonneur supposé dans le sang de sa malheureuse épouse - laquelle est aussi innocente que l'agneau qui vient de naître (Othello), une jeune femme qui se déguise en garçon pour (re)mettre le grapin sur celui qu'elle aime (La nuit des Rois), des enfant perdus - et finalement retrouvés (Périclès, Le conte d'hiver)... Et là, vous vous demandez sans doute quel intérêt on peut trouver à lire cette pièce qui n'est faite que de "redites". La réponse ne se trouve pas dans les développements psychologiques, qui restent on-ne-peut-plus sommaires pour la simple raison que l'attention est focalisée sur les multiples rebondissements de l'intrigue. Mais peut-être qu'un élément de réponse se trouve tout simplement dans la langue de Shakespeare qui laisse ici libre cours à son génie, jonglant avec les mots, bouleversant la syntaxe, variant les rythmes et déplaçant les accents... "Cymbeline" regorge véritablement de ces jeux sur le langage, y compris des jeux de mots parfois un peu salaces (mais plutôt subtils en comparaison de certaine blague tourangelle ;-)). A l'arrivée, "Cymbeline" autorise des lectures multiples, privilégiant le côté comique, voire grotesque, comme la production que j'ai vue à Stratford il y a quelques semaines (parfois aux dépends de l'émotion), ou bien accentuant les aspects dramatiques (en évacuant la réelle drôlerie du texte). Bref, c'est un véritable casse-tête pour les metteurs en scène, mais cela en fait peut-être justement la pièce idéale à lire et à se jouer sur son théâtre intérieur... Shakespeare comme le miroir des passions humaines...

Supposons maintenant que j'ai réussi à vous donner l'envie de lire "Cymbeline" (parce que vous êtes curieux d'en savoir plus sur cette intrigue "réchauffée", ou que vous voulez vous régaler de plaisanteries "coquines", ou encore que vous êtes en manque de matériaux pour votre théâtre intérieur ... peu importe). Hé bien, c'est là que les choses se corsent, parce que, s'il faut en croire la base de données d'Amazon, il n'y a pas de traduction française récente de "Cymbeline". Alors, vous pouvez vous tourner vers les "Oeuvres Complètes". Pour ma part, je dois ma première rencontre avec "Cymbeline" à l'édition de la Pléiade, dans la traduction un peu vieillie de François-Victor Hugo (oui, l'arrière-petit-fils de ...), mais c'est un investissement conséquent... Ou bien, vous pouvez tenter l'aventure de lire Shakespeare en V.O. C'est tout à fait possible, et il ne faut pas être un distingué germaniste pour cela, mais il vaut quand même mieux bien choisir son édition. J'en ai testé plusieurs: les Wordsworth Classics (presque pas de notes, c'est le règne de la débrouille...), les Penguin (les notes sont plus abondantes mais parfois dénuées d'intérêt pour le profane, par exemple les notes relatives à l'établissement du texte), les éditions destinées à un usage scolaire (on en trouve à la pelle chez les bouquinistes, les notes y sont abondantes, et le texte y est souvent expurgé de tout ce qui ne doit pas effleurer les chastes oreilles des petits pensionnaires d'Eton)... Mais l'édition de la Folger Shakespeare Library (dont je donne les références ici) est pour moi de très loin la meilleure. Elle propose le texte de Shakespeare sur la page de droite, et les notes en regard sur la page de gauche (vocabulaire, reconstitution de la phrase logique dans les cas où Shakespeare prend des libertés avec la syntaxe, explications de références historiques ou mythologiques), le tout accompagné de quelques notes plus détaillées en fin de volume et d'une bibliographie (si vous voulez en savoir plus, mais vous n'êtes pas obligés...). C'est vraiment le maître-achat: le texte de Shakespeare et une aide pour l'aborder, le tout présenté de façon très lisible et sans interférence inutile.