La Grâce et les Ténèbres
de Ann Scott

critiqué par Alma, le 9 août 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
Le monde invisible du terrorisme
Quand on appartient à une famille engagée face aux problèmes actuels, il est difficile de ne pas suivre son exemple .
C'est ce qui se passe pour Chris, le personnage central. Il a 30 ans, vit seul, coupé du monde dans un grand appartement presque vide. Il ne rêve que de composer de la musique, mais n'a encore rien produit.
Sa mère climatologue, mène une lutte contre le réchauffement climatique, l'une de ses sœurs est grand reporter pour la presse écrite et spécialiste des questions du Moyen Orient, l'autre est photographe de guerre.
La multiplication des attentats islamistes sur le sol français en 2015 provoque un déclic chez Chris. Il s'engage alors aux côtés d'un collectif d'anonymes bénévoles : La Katiba de Narvalos qui luttent dans l'ombre contre la cyberpropagande jihadiste. Leur tâche est de traquer sur différents réseaux sociaux tous les échanges entre les terroristes et leurs possibles recrues. Chris  plonge alors pendant des mois dans l'horreur glaçante des récits et des vidéos d'attentats et de décapitations .

Un roman ou plutôt un docu-fiction, un ouvrage hybride où alternent chapitres à intérêt romanesque traitant de la vie au sein de la cellule familiale et de l'univers musical dans lequel évoluent Chris et son ami Jean, et chapitres plus courts mais nombreux à intérêt essentiellement documentaire.
Ceux-ci sont rédigés dans un tout autre style, celui des informations brutes, des simples notes et touchant à des domaines très variés . Ces chapitres, facilement identifiables par leur typographie rendent compte tant d'échanges capturés sur Twitter et sur des messageries cryptées, que de la transcription de bandes enregistrées, que de conseils pratiques fournis aux journalistes et reporters pour échapper aux dangers qui les guettent quand ils sont sur le terrain, ou de la typologie des internautes dangereux qui polluent les réseaux sociaux .

La lecture du roman a été pour moi, je dois l'avouer plutôt déroutante , déstabilisante par sa structure narrative éclatée et assortie d'une sorte de malaise en raison de son contenu qui place le lecteur dans la situation de Chris, celle de « bouffer de l'horreur ».
Arrivée à la dernière page, je me suis sentie soulagée . C'est seulement quelques jours plus tard que j'ai compris tous les enjeux du roman : faire prendre conscience de l'ampleur « du monde invisible du terrorisme », des techniques d'infiltration du jihadisme , et du rôle ambivalent d'Internet ,  un merveilleux « jouet » qui  peut se transformer dans les mains de certains en « monstre »

«  La grâce et les ténèbres » une belle métaphore bâtie sur une forte opposition entre les deux pôles d'intérêt de Chris . Comment rester dans l'univers de la « grâce » : celui de la musique quand on est immergé dans celui des « ténèbres » : celui de l'horreur et de la violence ?