Debussy pour toujours
de Zoran Belacevic

critiqué par Débézed, le 1 août 2020
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Un amour dévastateur
Gabrielle Dupont, Gaby aux yeux verts pour le demi-monde parisien, a déjà soixante-dix-huit ans, elle vit à Orbec non loin de sa maison natale de Lisieux où elle est née quelques années avant Sainte Thérèse. Il ne naît pas que des saintes à Lisieux, elle se souvient quand elle avait vingt-cinq ans qu’elle était belle, jeune, dynamique, débordante d’énergie, ambitieuse, prête à tout pour réussir à Paris. Réussir pour elle qui n’a aucune fortune, pas plus de culture et d’instruction, consiste à s’attacher un amant fidèle et fortuné qui peut lui procurer le train de vie digne d’une grande dame. Une entremetteuse lui trouve un comte pas très séduisant mais suffisamment riche pour qu’elle lui soutire de quoi se montrer à son avantage dans les soirées parisiennes. Mais un jour elle faillit à sa règle fondamentale, elle tombe amoureuse d’un compositeur parfaitement inconnu qui vit dans une mansarde et la misère.

Ce compositeur encore inconnu n’est autre que Claude Debussy qui s’évertue sur ses premières compositions vivant de quelques expédients : cours de piano, copies de partition, etc… Entre les deux jeunes un amour charnel se noue, ils n’ont rien en commun, elle est pratique et pragmatique, il est rêveur et intuitif. Elle l’abandonne mais à chaque fois revient pour vivre de nouvelles galères, de nouvelles querelles, nourrir de nouvelles rancœurs, « Cependant, même dans les périodes les plus obscures, le sexe ne les abandonne pas. Il représente leur salut, leur opium, l’aimant qui les maintient ensemble ». Malgré de nombreux sacrifices et moult efforts, elle n’arrivera jamais à concilier son besoin charnel de son amant avec ses besoins matériels, son envie de paraître, son goût du luxe et du confort. Lui, « Pauvre Claude, il n’aura jamais d’argent. Il vivra toute sa vie dans les nuages. Pour lui, la musique aura toujours la première place ».

En filigrane de cette passion tumultueuse, tapageuse, parfois violente, remplie de conflits et de réconciliations sous la couette, qui durera presque une dizaine d’années, Debussy compose une bonne partie de ses œuvres maitresses à un rythme si lent qu’il désespère tous ceux qui croient en son génie et croupit toujours dans la misère ou dans sa bordure. Peut-être que la belle aux yeux verts l’a inspiré pour certaines œuvres, la mélodie du Prélude à l’après-midi d’un faune, lui serait venue brusquement lors d’un déjeuner sur l’herbe avec Gaby.

Zoran Belacevic, dans son avant-propos, rappelle que la français est, en Serbie, une des trois langues obligatoires à l’école primaire et que par conséquent la culture française y est très présente, de nombreux artistes comme Debussy y sont donc très connus. Lui-même a eu envie d’écrire ces pages de la vie du compositeur après avoir écouté et aimé ses œuvres mais surtout après avoir découvert cette intrigue amoureuse hors du commun. Elle était forte, déterminée, têtue, il était plutôt bon bougre et peu rancunier, ils aimaient les étreintes charnelles passionnées, ils avaient tout pour écrire une histoire d’amour explosives que Zoran a bien vite saisie. L’amour charnel peut-être dévastateur quand il rencontre des forces contraires mais il n’a jamais pu porter atteinte au talent de Debussy et à la qualité de son œuvre.