La faculté des rêves
de Sara Stridsberg

critiqué par Lobe, le 9 mai 2020
(Vaud - 29 ans)


La note:  étoiles
Pour écrire, il faut entendre des voix
Celle de Valerie Solanas était singulière. Radicalement féministe, elle est connue pour être l’autrice du SCUM Manifesto – le Manifeste des Crasseuses ? – un pamphlet misandre, une réflexion outrancière qui appelle un monde sans hommes. Valerie Solanas est restée dans les annales aussi pour avoir littéralement agi en ce sens, en tirant un jour de 1968 sur Andy Warhol.

Celle de Sara Stridsberg l’est tout autant. Cette biographie du songe et du fantasme a une résonance étrange. Sa construction non-linéaire. Ses descriptions désarmantes, glauques et candides, électriques. La romancière s’introduit dans la chambre de mort de Valerie, dans un hôtel sordide. Elle relate en parallèle son enfance dans le désert, la meurtrissure qui ne s’efface pas. La vie se poursuit, en errance et en quête. Les rencontres amoureuses ont une aura bleue, scintillante, précaire. A ses années étudiantes succèdent celles de l'écrivaine rôdant autour de la Factory. Certains chapitres scandent des listes obscures et obsédantes.

Celle de Valerie Solanas telle que livrée par Stridsberg est celle d’une folle qui ne l’est pas. C’est une voix qui détonne et retourne la peau du monde pour voir ce qu’il y a derrière. Quelque chose nait de ce dialogue imaginaire. La souillure a une forme de pureté, l’outrance cache autant qu’elle révèle. Et les vociférations ne recouvrent pas tout à fait le très grand silence.

« Le campus devient crépusculaire et venteux, tu prends ton vélo pour descendre jusqu’à la plage de sable bleu où tu fais un cours magistral à toute cette quantité d’eau et à ce ciel ingrat : Il n’y a que des fins heureuses. Il n’y a que des possibilités. Il n’y a que des garçons de Soie, des garçons de joie, des garçons jouets, des places d’université, des bourses d’université, des bourses de pauvre. Il n’y a que des oiseaux qui s’écrasent, que des rêves qui s’écrasent, que des systèmes oppressifs qui s’écrasent. Il n’y a que Valerie Jean Solanas qui va devenir Présidente de l’Amérique. Le bruit de la pluie, des vagues, des fonds sous-marins, le poids diaphane et froid sur ta poitrine, le goût de sel dans ta bouche, le requin blanc dont l’haleine froide balaie les plages. »