La saga des Béothuks
de Bernard Assiniwi

critiqué par Libris québécis, le 26 juillet 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Extinction d'une tribu amérindienne du Canada
Bernard Assiniwi (1935-2000) appartenait à la tribu des Cris. Il a laissé une oeuvre assez considérable sur les us et coutumes des autochtones, en plus de trois romans et de deux recueils de nouvelles inspirées de la vie des siens. Dans La Saga des Béothuks, il retrace l’histoire d’une tribu disparue de l’île de Terre-Neuve à cause des envahisseurs venus s’établir sur les rives longeant l’Atlantique.
Dès l’an 1000, les Vikings ont envahi cette terra nova. Qu’importe si le territoire outre-mer le plus près de l’Europe fut habité, ces bouguishameshs (étrangers) avaient décidé d’en faire le leur au détriment des Béothuks, qui occupaient la partie ouest de l’île. Leur présence fut décelée quand le jeune Anin promit d’en faire le tour en tapatook (canot d’écorce) afin de renseigner son peuple sur les possibilités offertes par ce territoire presque aussi vaste que l’Angleterre. Quand il revint au bercail après trois ans, il avait deux femmes et un garçon. Lors de son périple, il avait sauvé des gens d’origine diverse, qui avaient réussi à échapper à leurs ravisseurs scandinaves ou à des tribus du Nord.
Ce fut le début de la réorganisation de la tribu en deux clans, celui de Gashu-Uwith (ours) et celui d'Appawet (phoque), animaux dont l'esprit réincarnant un ancêtre assurait leur protection. Sous l’oeil bienveillant aussi de Kobshuneesamut (Dieu), le peuple béothuk connut la prospérité pendant cinq cents ans. Leurs déboires commencèrent avec l’arrivée massive des envahisseurs européens. En premier lieu, ce furent les Portugais, qui capturèrent des autochtones afin de les échanger contre des pièces d’or. Quand les Français s’amenèrent en Amérique, ils ne tentèrent pas d’entrer en contact avec les Béothuks. Seul un marin malouin demanda à Jacques Cartier de le laisser sur l’île, où il s’intégra à la tribu. Leur extinction s’amorça avec l’arrivée des Anglais. Ces derniers ne s’habituèrent pas à la présence des Peaux-Rouges, surnom attribuable à la poudre d’ocre dont ils s’enduisaient le corps afin de se protéger contre les piqûres brûlantes des mouches noires. Les contacts entre les deux peuples furent donc toujours hostiles. Les Béothuks ont toujours senti l’arrogance des Anglais, qui les déconsidéraient à cause de la soi-disant supériorité du christianisme. Au nom de la foi, on a donc violé leurs femmes, volé le fruit de leurs pêches et de leurs chasses pour les buter finalement comme des rats. Ce comportement persista malgré les condamnations de la cour d'Angleterre, qui venaient d’ailleurs en contradiction avec la prime accordée pour chaque Béothuk abattu. Une colonisation aussi barbare ne pouvait qu’engendrer l’extinction de cette tribu, dont la dernière représentante mourut de la tuberculose en 1829.
À travers de courts chapitres, le narrateur, « la mémoire vivante » de la tribu (l’historien), évoque les événements qui ont contribué à la grandeur et à la déchéance de son peuple. Bernard Assiniwi a écrit une saga bien documentée, qui défile à un train d'enfer dans une langue limpide et précise. Comme Sanaaq de Mitiarjuk Nappaaluk au sujet des Inuits, cette œuvre fournit une mine de renseignements sur ce peuple dépourvu de pilosité et décimé aussi par des maladies apparues avec la colonisation. L’analyse de leur disparition reste sommaire malgré les 406 pages de l’oeuvre. L’objectif de l’auteur était tout autre. Bref, il visait à signaler l’injustice dont les siens furent victimes.