Cinacittà - Mémoires de mon crime atroce
de Tommaso Pincio

critiqué par Pucksimberg, le 23 avril 2020
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Accusé de meurtre dans une Rome livrée aux Chinois
Une canicule quasi insupportable s’est abattue sur Rome depuis un certain temps. Les Romains sont partis dans le nord du pays et les Chinois, décrits comme des Barbares dans le roman, ont le sens de l’adaptation et sont parvenus à s’acclimater dans la capitale italienne. Le narrateur est un Romain qui n’a pas voulu fuir et qui a assisté à la transformation de la ville et à sa dégradation. Dès le départ, il nous indique qu’il est en prison accusé d’un crime, celui d’une prostituée chinoise. Il nous confie aussi qu’il n’a pas commis ce méfait. Il s’apprête donc à nous raconter son histoire.

Cette uchronie a quelque chose d’inquiétant. La ville mythique de Rome est devenue sale. Les lieux symboliques sont laissés à l’abandon. Des mendiants africains et roumains occupent le Colisée. Les grands hôtels sont tenus par des chinois quelque peu négligés. L’Excelsior n’a plus le lustre d’antan. Loin de là ! La Cité interdite est un lupanar. De nombreux chinois consomment de l’opium. Il est évident que le mode de vie de ces nouveaux occupants n’est pas la même que celui des Romains. Tommaso Pincio donne une image peu séduisante de ces hommes. Toutes les remarques passent par le personnage qui critique aussi bien les Chinois que les Romains. Le narrateur fait preuve de racisme assez souvent. Les nouveaux habitants n’arrêtent pas de cracher, même sur la moquette d’un hôtel sans aucune vergogne. Ils sont présentés comme matérialistes, cupides et égoïstes. Ce sont aussi des êtres insensibles. La vue d’un mort ne les effraie pas tellement. La saleté prédomine aussi dans les descriptions qui sont faites. Le Chinois n’apparaît pas comme un être fiable. Le narrateur tiendra des propos désobligeants aussi sur certains Romains. Il faut dire qu’il ne nous est pas vraiment sympathique.

Le roman repose aussi sur de nombreuses références culturelles parfois pleinement assumées qui éclairent à leur manière notre lecture. Le narrateur sera surnommé Marcello par Wang, un personnage essentiel de ce roman, en allusion au film de Fellini « La Dolce vità ». En effet, le narrateur est oisif et fait croire qu’il est journaliste. Cette référence est intéressante car dans le film il est décrit une société en mutation. La décadence est présente, c’est la fin d’un monde qui est dépeint avec ces sphères de la haute société qui ne savent plus quoi faire pour s’occuper. C’est bien une société différente née du réchauffement climatique qui est centrale dans le roman de Tommaso Pincio. L’auteur semble poursuivre le tableau d’une Rome décadente de Fellini. A la fin du livre figure une playlist conçue par l’écrivain qui peut accompagner notre lecture et donner une résonance plus profonde. Il y a évidemment la musique de NIno Rota élaborée pour « La Dolce vità », mais il y a aussi The Doors, Juliette Lewis, Archive, Ornella Vanoni … Le concept est assez original et invite à une immersion qui parle à de nombreux sens. « L’Etranger » de Camus n’est pas nommé pourtant, le personnage principal s’exprime à la première personne du singulier comme Meursault, est jugé pour un crime, il semble peu concerné par sa condamnation, ne cesse de critiquer son avocat, sa relation avec sa mère devient un des points négatifs dans l’évaluation de sa culpabilité, le sentiment d’étrangeté prédomine aussi …

La transformation de Cinecittà en Cinacittà fait sourire même si elle soulève dans le fond quelques inquiétudes. Cette œuvre repose sur un monde imaginaire, une capitale italienne étouffée par une canicule, 50 degrés en journée. Les hommes vivent donc la nuit et sacrifient le jour durant lequel des voitures explosent parfois sous l’impulsion d’une chaleur extrême. Il n’en demeure pas moins que la critique des banques et du capitalisme faite dans ce roman est d’actualité. Le choix des Chinois m’a tout de même interrogé. En Italie la plupart des boutiques touristiques sont tenues par des asiatiques, tout comme une grande partie des restaurants de Venise, est-ce pour cette raison qu’ils ont été choisis ? Je ne sais pas. Le roman reste une fiction mais la réalité ne peut qu’alimenter l’œuvre.

Ces confidences sont intéressantes. Le lecteur découvre un univers peu attirant qui s’oppose à l’image que l’on a de la capitale italienne majestueuse. Le narrateur prend le temps de décrire les divers épisodes, ses ressentis, fait des digressions sur le quotidien des habitants de Rome, évoque aussi ses pulsions sexuelles … Le roman ne repose pas sur des dizaines de péripéties et sur une multitude de personnages. C’est la chute d’une ville et celle d’un homme qui sont au centre de ce roman original et quelque peu inquiétant.