Les beaux jours
de Annie Préaux

critiqué par Débézed, le 30 mars 2020
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
De l'anorexie au gâtisme
Sa grand-mère l’a prévenue ses beaux jours sont révolus, quelques gouttes de sang tachent le fond de sa culotte, elle va passer du stade d’enfant à celui de femme pubère. Tout ça elle ne le sait pas encore, elle ne sait pas ce que c’est, elle n’y comprend rien et on ne veut rien lui dire.

La narratrice, je ne sais pas si cette histoire est autobiographique ou non, c’est la raison pour laquelle, je l’attribuerai à la narratrice et non à l’auteure, a choisi un habile processus littéraire pour raconter son adolescence, comment elle l’a conditionnée pour aborder sa vie d’adulte et la vie de senior qui l’attend peut-être en racontant celle de sa cousine qu’elle accompagne sur le dur chemin du grand âge. Elle raconte en alternance son adolescence et ses visites à s vieille cousine établissant ainsi une sorte de pont entre les deux bouts d’une vie.

C’était dans un village du Borinage, à l’époque où cette riche région minière devenait une immense friche industrielle, où les fortunes se défaisaient beaucoup plus vite qu’elles s’étaient constituées. Ainsi, après le décès de son père, la mère fut obligée de fermer la petite fabrique que la famille exploitait, en laissant une vingtaine d’ouvrières sur le carreau. Annette, la narratrice terrorisée par les prédications sataniques de sa grand-mère refuse de devenir une femme, ne s’aime pas, se déteste même au point d’en devenir anorexique. « Contrairement aux vraies anorexiques, je ne me pèse jamais, je ne contrôle rien. Je ne souhaite pas être mince ou grosse. Je hais tout simplement cette chair qui recouvre mon squelette et qui saigne irrégulièrement. Je déteste mes points noirs, mes boutons, mes poils. Ma peau. Mes os. »

Elle se révolte contre tout, contre sa famille qui ne lui dit rien, qui la traite comme une enfant, contre l’école où, bien qu’elle soit une élève brillante, la maltraite et l’accuse d’être l’instigatrice de tous les mauvais coups fomentés au sein l’institution. C’est une rebelle, on la considère et la traite comme telle. Elle s‘oppose surtout à la religion, notamment celle pratiquée par sa grand-mère qui, restée au temps des rites et croyances le plus obscures, les plus contraignants, les abscons, ceux qu’elle l’oblige à pratiquer comme elle.

Cette religion que sa cousine Jeannette, un peu plus vieille qu’elle, respecte pointilleusement jusque dans ses plus obscures pratiques, quitte à inventer d’autres pour paraître encore meilleure catholique et être sûre d’aller directement au Paradis. Mais Jeannette subit la dégénérescence qui affecte de nombreuses personnes âgées, Annette décrit sa lente mais inéluctable dégradation physique et mentale. En pensant certainement dans un petit coin de sa tête que le début de sa descente, à elle, se rapproche de plus en plus. Je l’imagine aisément, je partage le même âge que l’auteure…

Un roman court, plein d’humanité et d’émotion qui survole, d’une adolescence douloureuse à une fin de vie dégradante, tout ce qui peut constituer une vie, la sienne peut-être, consacrée à de multiples engagements dont la défense de la cause des femmes très présente dans ce texte. Cette biographie est aussi un plaidoyer contre toutes les contraintes imposées aux jeunes filles, aux femmes, aux personnes âgées par des religions bigotes, castratrices, liberticides… dont des familles et des institutions usent et abusent encore pour maintenir leur pouvoir.