Quand j'ai commencé à broder les haricots avaient encore des fils...
de Philippe Bouvard

critiqué par Catinus, le 21 mars 2020
(Liège - 72 ans)


La note:  étoiles
Un collier de perles
Depuis 1983, dans le Figaro Magazine, Philippe Bouvard tient un billet hebdomadaire. Il commence souvent par parler de lui-même. Il n’est pas tendre avec sa personne, il a un sens aigu de l’autodérision, mais, très vite, il attaque de front son sujet et le passe au grill. Avec humour, bien sûr ( les « Grosses Têtes » ne sont pas loin), avec intelligence et érudition. Mais il ne faudrait pas se tromper non plus : l’homme aime l’autodérision, soit, mais c’est quand même lui le boss, c’est quand même lui le plus fort et il ne craint personne dans son domaine.
« Au total, des centaines de chroniques dont j’ai sélectionné la quintessence » dit-il dans la préface de deux pages intitulée « Pour débuter et pour finir ». Viennent ensuite 600 pages, soit 178 chroniques, toutes (ou peu s’en faut) des bijoux.
Perso, je ne connaissais pas le Figaro Magazine. C’est un mien collègue qui m’a cédé d’anciens numéros. Depuis, je collectionne les billets de monsieur Bouvard. On pensera ce que l’on voudra de ce journal parisien mais il est quand même bon de constater qu’il compte au moins deux pointures de taille : Jean d’Ormesson et Philippe Bouvard. Excusez du peu.
Probablement un des meilleurs livres qui me tombera entre les mains en cette - historique - surprenante année 2020.

Extraits :

- Sans doute suis-je moins angoissé que mes contemporains parce qu’il me manque une case dans l’intelligence et une fibre dans le cœur. Comment justifier autrement que, nanti d’une famille que j’aime et qui me supporte, d’une situation confortable acquise sans aucune protection politique et d’une santé qui ne m’a accordé que huit jours d’arrêt de travail en trente-deux ans (*) de salariat, je ne torde pas chaque matin les bras en clamant que je suis le plus malheureux des hommes.
(*) Ce billet date de 1984

- Je n’ai rien contre le football. Enfin, pas plus que contre le tricycle ou contre la marijuana. Chacun se distrait comme il l’entend. (…) Je ne peux pas ouvrir la télé, le radio ou un journal sans me heurter à ces grands garçons court vêtus et numérotés pour lesquels il n’y a rien de plus important au monde qu’une enveloppe de cuir remplie d’air. ( …)
Etc. Voir la chronique « Ras le ballon » pp 55-57.

- Preuve que, le journalisme étant l’art de s’approprier le savoir des autres, on ne doit jamais craindre d’avouer son ignorance : elle suscite des aides inespérées.

- Je suis un «fan » de Mozart, un dingue de papa Bach et de certains de ses fils, un inconditionnel d’Haydn, autrement dit, un pauvre type égaré dans le III è millénaire avec des valises vielles de plusieurs siècles.

- La sieste : voilà le mot lâché. J’adore la sieste. Elle me le rend bien. La vraie sieste : celle qui réclame un lit, qui exige un pyjama et qui, en plein milieu de la journée, vous démobilise durant au moins quatre-vingt-dix minutes.

- Les galipettes de mes contemporains ne m’intéressent pas. Rédhibitoire également, mon refus obstiné de boire, de fumer et de me droguer. Il est vrai que, bénéficiant à jeun d’une espèce d’ébriété cérébrale, je n’ai nul besoin d’introduire des paradis artificiels dans mon enfer quotidien.

- (A l’adresse d’Alain Delon) Dinons un soir en garçons à une terrasse de bistrot d’une côte de boeuf saignante et d’un bon bordeaux en faisant semblant de lorgner les filles qui passent désormais plus vite que le temps.

- Nous vivons l’époque la plus étrange, la plus belle, la plus merveilleuse, la plus extraordinaire de l’histoire de l’Humanité. Ne boudons pas notre plaisir et, au lieu de faire la fine bouche, crions notre enthousiasme chaque fois que ce siècle cesse de ressembler aux précédents.

- L’invention du Viagra embellit les fins de vie puisque les vieillards n’ont plus besoin de mourir pour connaître la raideur cadavérique.

- Gardez-vous des petites et grosses bestioles ! Elles semblent s’être donné le mot pour nous pourrir l’existence. Les grosses nous écrasent d’un coup de patte ou nous dévorent d’un coup de dent. Les petites, organisées en épidémie, puis en pandémie, sont assez idiotes pour n’avoir de cesse de détruire les organismes où elles ont trouvé asile et chaleur.