Canicule
de Geneviève Genicot

critiqué par Débézed, le 11 mars 2020
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Coup de chaud
Un accompagnateur de train raconte sa folle aventure à bord d’un train puis dans les rues de Bruxelles, sa ville, au cours de la canicule qui a perturbé toute la cité.

« C’était bien cela que je vivais, un peu comme si, craquelant le bitume, la chaleur faisait des plis non seulement dans le sol mais aussi dans le temps, engouffrant des pans entiers de mon horaire habituel… »

La canicule sévit, le narrateur est-il victime d’un coup de chaud ? Ou est-ce le train qui chauffe trop fort ? Ou peut-être que c’est toute la ville qui subit un énorme coup de chaud que l’auteure traduit dans un texte étouffant qui risque d’asphyxier les lecteurs imprudents qui se seraient lancés un peu trop rapidement dans ce flot bouillonnant de mots en fusion. Et peut-être que la narratrice (ne pas confondre avec l’auteure) elle-même a ressenti ce coup de chaud qui lui a inspiré ce texte qui coule comme une coulée de lave.

Elle écrit un grand récit fantastique dénonçant dans sa fantasmagorie hallucinante tous ceux qui ont altéré Bruxelles et son histoire pour en faire une capitale de la finance, qui ont détruit le patrimoine en le remplaçant par des tours de verre et de béton sans âmes, défigurant la ville pour un long temps ; tous ceux qui n’ont pas respecté la nature, la faune, la flore, les eaux baignant la ville ; tous ceux qui ont méprisé les habitants, négligeant leurs avis et leurs conditions de vie. C’est aussi un voyage extraordinaire dans et sous la ville, dans le temps, dans l’histoire et dans le patrimoine oublié de cette cité historique.

« … nous avons longé vers la Gare du Midi cette faille sismique où s’engouffraient pêle-mêle des caves gothiques, des lambeaux de kiosques, des fers forgés Art Nouveau et des pans de petites maisons vétustes… »

La narratrice donne la parole à La Senne, cette rivière que les Bruxellois ont enterrée pour développer la ville et la doter de monuments imposants le long de grandes avenues. La rivière s’insurge contre ceux qui ont prôné cet urbanisme : « Hommes honteux qui m’avez étouffée sous terre pour mieux cacher vos déjections dans mon lit, hommes sales oublieux des purifications, hommes cupides qui avez bâti des maisons de riches en chassant le peuple simple qui vivait sur mes berges… »

Mais je ne pense que ce livre n’est pas seulement un plaidoyer contre ceux qui ont défait la ville, accusés de l’avoir transformée dans le seul but d’amasser de nouvelles fortunes encore plus indécentes. Je crois que ce texte est aussi, et peut-être avant tout, un exercice d’écriture, un exercice auquel l’auteure se serait livrée pour donner libre cours à sa fantasmagorique imagination tout en dressant un portrait nostalgique de sa ville qu’elle semble particulièrement bien connaître.

« Bruxelles exil Bruxelles asile », je laisse en conclusion cette citation de Liliane Schraûwen dans « Nuages et vestiges », le recueil qui fera l’objet de ma prochaine chronique, une conclusion elliptique, un lien intertextuel vers une autre auteure, un autre texte, mais peut-être en restant dans le même monde…